Police, assurance, expertise... que faire après le vol

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 14 mai 1999 - 1362 mots

Le choc du cambriolage passé, il importe de réagir sans tarder. Informer la police ou la gendarmerie, prévenir la compagnie d’assurances sans délai, réunir les pièces justificatives, faire appel éventuellement à un « expert d’assuré »... Voici des conseils.

Le premier réflexe est d’informer la police ou la gendarmerie. Si le vol porte sur des œuvres importantes, qui risquent d’être transférées rapidement vers l’étranger, il est souhaitable d’aviser simultanément l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Pour permettre l’identification des œuvres et la diffusion éventuelle de notices de recherche, il est important de lui adresser le plus rapidement possible les documents d’identification, en particulier les photographies et les signes particuliers de l’œuvre.

Après la police ou la gendarmerie, il faut évidemment prévenir la compagnie d’assurances sans délai. Une déclaration tardive (généralement les polices prévoient un délai maximum de 2 à 3 jours à partir de la découverte du sinistre) peut entraîner la déchéance du droit à indemnité. Cependant, ce délai ne court qu’à partir du moment où la victime a connaissance du vol. Pour éviter toute difficulté, il est prudent d’adresser cet avis par lettre recommandée.

En cas de vol, la compagnie demandera copie de la plainte, qui devra comporter le détail des objets volés ; si une omission est faite lors du dépôt de plainte, il est possible, après inventaire complet des dommages, de compléter la plainte en conséquence.

Lorsque la police d’assurance couvre spécifiquement les œuvres et objets d’art – il s’agit des polices dites “tous risques” ou “en valeur agréée” –*, des expertises préalables ont décrit et évalué les biens. La victime n’aura donc pas à réunir de pièces complémentaires. Par contre, si la police est du type multirisques – incendie, vol, dégâts des eaux, responsabilité civile etc. – couvrant accessoirement les œuvres d’art détenues dans l’immeuble assuré, la victime devra faire la preuve du dommage. Il lui faudra donc réunir les différentes pièces prouvant l’existence des œuvres volées et leur valeur : photographies, factures ou bordereaux de ventes publiques, inventaires... Les difficultés rencontrées à l’occasion d’un sinistre proviennent souvent de l’insuffisance de pièces justificatives.

Dans ce sens, il n’est pas faux de dire qu’il faut “préparer son vol”, en constituant un dossier comportant ces justificatifs qui seront utiles pour les assureurs, mais également aux services de police ou de gendarmerie.

Si le sinistre est important ou complexe, il peut être souhaitable de faire appel à un “expert d’assuré” pour défendre ses intérêts. La rémunération de l’expert d’assuré est généralement calculée au pourcentage de l’indemnité versée par la compagnie (en général de 5 à 10 %). Certaines polices d’assurances, sous la rubrique “honoraires d’experts”, prévoient le règlement par la compagnie de tout ou partie des honoraires de l’expert d’assuré.

Les actions en revendication
Compte tenu de l’accroissement très important des vols d’œuvres d’art, il est important de savoir dans quelles conditions le propriétaire d’une œuvre volée peut récupérer son bien s’il réapparaît sur le marché. Malheureusement pour les propriétaires dépossédés, en France, mais aussi en Belgique et en Suisse, le possesseur de bonne foi bénéficie d’une protection relativement importante, fondée en particulier sur des délais de prescription assez courts et la possibilité, dans certains cas, d’obtenir remboursement de son achat dans le cas où il doit le restituer au propriétaire d’origine.

En France, le propriétaire peut revendiquer, c’est-à-dire demander la restitution de l’objet, dans un délai maximum de trois ans après la date du vol. Les objets des musées et les objets classés font toutefois exception puisqu’ils sont imprescriptibles ; l’État ou le propriétaire peut donc en demander la restitution sans limitation de temps (une réglementation similaire existe en Belgique pour les objets du domaine public et le patrimoine religieux). Le délai de prescription est de cinq ans en Suisse et en Belgique. Dans ces États comme en France, ces délais de prescription civile ne peuvent être invoqués par des acquéreurs de mauvaise foi et a fortiori des receleurs avérés. Une directive européenne de 1993 a cependant porté ce délai à trente ans, et à soixante-dix ans pour les objets des musées ou des églises. Cette directive transposée en France par une loi du 3 août 1995 n’est applicable qu’aux objets d’une valeur importante – par exemple, plus de 150 000 écus (environ 1 000 000 francs) pour les tableaux, plus de 50 000 écus (350 000 francs) pour les meubles et objets – susceptibles d’être considérés comme des trésors nationaux ou déjà reconnus comme tels par un classement, et exclusivement lorsqu’ils sont retrouvés dans un autre État membre que celui où ils ont été volés. Ainsi, paradoxalement, il peut être parfois souhaitable pour le propriétaire que l’objet soit découvert dans un autre pays de l’Union européenne : si un objet important a été volé et est redécouvert en France plus de trois ans après le vol, la prescription de trois ans s’appliquera et le propriétaire ne pourra plus revendiquer l’objet (toutefois, ce délai n’est pas applicable aux œuvres classées qui sont “imprescriptibles” en droit français). Si, au contraire, l’œuvre est retrouvée dans un autre État membre, le délai d’action sera de trente ans voire soixante-dix ans.

Évolution de la notion de bonne foi
Pour le propriétaire, un autre obstacle peut l’empêcher de récupérer son bien. En effet, les textes prévoient que le possesseur de bonne foi a, dans certains cas, droit à une indemnisation. Ce sera le cas, en France et en Suisse, si le possesseur a acquis l’objet en vente publique, chez un antiquaire, un négociant en œuvres d’art ou sur un salon (art. 2280 du code civil français et 934 du code civil suisse). Dans ce cas, le propriétaire légitime ne pourra récupérer l’œuvre volée qu’en remboursant le prix payé par l’acquéreur de bonne foi. Comme pour les délais de prescription, ce remboursement ne peut bénéficier au possesseur de mauvaise foi.

Cette disposition, ainsi que les délais de prescription évoqués ci-dessus, visent à protéger les transactions en privilégiant celles réalisées dans les circuits commerciaux habituels. Évidemment, pour le propriétaire dépossédé, obligé de “racheter” l’objet lui appartenant, elle paraît inique. Elle pénalise également les marchands qui achètent chez des particuliers et qui ne peuvent donc en bénéficier.

La réglementation européenne évoquée ci-dessus (en France, loi du 3 août 1995) prévoit également l’indemnisation du possesseur de bonne foi. Les textes ne déterminent pas la base de calcul de cette indemnisation. En revanche, ce qui peut être plus favorable au propriétaire, ils autorisent le juge à tenir compte des circonstances de l’acquisition lorsqu’il décide et fixe l’indemnité. L’idée est de vérifier si l’acheteur a pris un minimum de précautions lors de l’achat.  La loi du 3 août 1995 précise que le tribunal “accorde au possesseur de bonne foi qui a exercé la diligence requise lors de l’acquisition du bien une indemnité équitable”...

Depuis une dizaine d’années, on a pu constater que les tribunaux exigent une “curiosité” accrue de la part de l’acheteur. L’acheteur public ou privé doit se préoccuper davantage de l’origine des œuvres qu’il acquiert, et sa bonne foi ne peut désormais se résumer à l’ignorance d’une origine délictueuse. En France, la Cour de cassation a ainsi refusé, le 4 juin 1998, le non-lieu à un galeriste qui avait acheté en vente publique un tableau de Frans Hals volé pendant la guerre, et, dans le même sens, la Ville de Strasbourg a dû récemment restituer un tableau de Klimt acquis il y a plus de trente ans. Après quinze ans d’hésitations, l’application par la France, depuis avril 1997, de la convention Unesco de 1970 sur les trafics de biens culturels manifeste également cette évolution. En Suisse, l’arrêt du Tribunal fédéral du 1er avril 1997 ordonnant la restitution d’un tableau volé à la France insistait sur “un ordre public international en vigueur ou en formation”.

Cette évolution se retrouve dans la plupart des pays, malgré des dispositifs juridiques différents. La convention Unidroit, adoptée à Rome en juin 1995, s’est efforcée d’unifier ces approches divergentes en autorisant la revendication du propriétaire, tout en accordant l’indemnisation du possesseur de bonne foi à condition qu’il justifie de sa diligence lors de l’achat.

* Lire à cet égard Le marché de l’art 1999, hors série de L’Œil, pages 143 à 151

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : Police, assurance, expertise... que faire après le vol

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