Un apôtre de la modernité

Albert Londe, au service de la photographie tous azimuts

Le Journal des Arts

Le 28 mai 1999 - 703 mots

La photographie du XIXe siècle est encore bien mal connue, en dehors de quelques célébrités qui font l’objet des soins attentifs des institutions internationales, tel Nadar. Des personnalités attachantes apparaissent cependant – comme Duchenne de Boulogne récemment à l’École des beaux-arts –, qui ont remodelé la photographie et en ont hâté le progrès, à une époque où l’usage de ce médium signifiait avant tout “modernité�?, ce qui nécessitait beaucoup d’énergie. Albert Londe (1858-1917) est de ceux-là.

PARIS - En publiant en 1888 La photographie moderne, pratique et applications, il voulut être l’apôtre de la modernité photographique, après avoir été le propagateur zélé de la Photographie instantanée (1886). Actif pendant près de trente ans, Albert Londe n’est plus connu aujourd’hui, mais il jouissait autour de 1900 d’une grande réputation scientifique pour ses ouvrages très sérieux mais au langage “accessible”, qui amenèrent beaucoup d’amateurs à être des photographes chevronnés, et pour ses inventions – avec Dessoudeix – en matière d’obturateur, ce petit appareillage accessoire qui permet de régler des temps de pose très courts. Sa chance fut d’avoir une vingtaine d’années au moment de l’apparition du gélatino-bromure d’argent (vers 1880), qui faisait basculer la photographie d’un monde statique à un monde dynamique et ouvrait notamment l’accès à “tout ce qui bouge”, ce qui n’est pas mince, et pouvait rendre enthousiaste. Son aîné Étienne-Jules Marey, professeur au Collège de France, ne s’y trompait pas non plus quand il se lançait en 1882 dans la chronophotographie, aventure qui conduira plus tard au cinématographe et à laquelle Londe participera avec ses propres dispositifs.
Londe entre alors au service photographique de La Salpêtrière, dont il deviendra directeur (1884), avec cette autre chance d’être sous la gouverne de Charcot, très favorable à l’usage de la photographie dans le laboratoire et dans ses cours – Freud passera par là en 1885. L’“iconographie médicale” de Londe tente d’enregistrer les signes de l’attaque hystérique et de l’attaque épileptique, spécialités du maître, et ensuite divers symptômes physiologiques, des pathologies ou des expérimentations (électrostimulation). Certaines planches originales de La Salpêtrière, inconnues à ce jour en raison de la dilapidation du fonds, sont très spectaculaires.

Mais Londe a aussi une activité “civile” peu institutionnelle, en tant qu’instigateur de la pratique photographique nouvelle, celle de l’instantané. Il fonde avec Tissandier, en 1887, la Société d’excursions des amateurs photographes (SEAP), qui prolonge les conseils et leçons qu’il délivrait ouvertement au laboratoire de La Salpêtrière. Société de joyeux drilles mais excellents techniciens – il faut l’être pour réussir les photographies à cette époque –, les “excursionnistes” jettent les bases d’une pratique qui n’est plus confinée dans le studio ou l’atelier mais se porte au-devant des sujets les plus inattendus, dont l’intérêt photographique est dorénavant déterminé par le choix personnel, par l’inclinaison du photographe. Les carrières d’Argenteuil, l’hippodrome de l’Alma (où se produisent des numéros de cirque avec éléphants et clowns), les bords de Marne, le lancement d’un ballon ou les champs de courses deviennent des sujets photographiques auparavant quasi inaccessibles.

Londe n’est pas vraiment un touche-à-tout mais il a plusieurs fers au feu, et particulièrement sa participation à la chronophotographie, avec un appareil à neuf objectifs (1883) puis à douze objectifs (1891) à déclenchements successifs, qui lui permettent d’enregistrer, à la manière de Muybridge, par unités séparées, les phases d’un mouvement (enregistrement séquentiel). Il utilisera cette technique à la fois pour des démarches pathologiques et pour l’enregistrement de mouvements de modèles qui lui vaudront d’être l’illustrateur des ouvrages d’anatomie artistique de Paul Richer, professeur à l’École des beaux-arts.

Si l’on y ajoute un intérêt pour les rayons X et pour le cinématographe naissant, cela fait une belle carrière au service de la photographie, tous azimuts. Cela fait-il pour autant une “œuvre” ? L’espace de l’exposition paraîtra peut-être diluer cette démonstration, tandis qu’un élégant “Photo Poche” édité pour l’occasion tente d’y répondre positivement. Mais il est vrai que pour un photographe, qui est très sollicité par le renouvellement technique et par la participation sociale, cette notion empruntée aux Beaux-arts est bien problématique.

ALBERT LONDE

Jusqu’au 6 juin, Hôtel de Sully, Mission du patrimoine photographique, 62 rue Saint-Antoine, 75004 Paris, tél. 01 42 74 47 75, tlj sauf lundi et jf 10h-18h30. collection “Photo Poche�? n° 82, Nathan, 144 p., 57 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°84 du 28 mai 1999, avec le titre suivant : Un apôtre de la modernité

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