Justice

Wildenstein diffamé ?

Sa famille attaque l’auteur du "Musée disparu"

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 28 mai 1999 - 589 mots

Quatre ans après la sortie de son livre sur les œuvres d’art volées par les nazis, Hector Feliciano est attaqué en justice par la famille de Georges Wildenstein. D’après l’historien, le célèbre marchand d’art aurait profité des pillages effectués pendant l’Occupation. Les Wildenstein contestent cette thèse et réclament 6 millions de francs de dommages et intérêts.

PARIS. Le livre d’Hector Feliciano, Le Musée disparu, paru en 1995 aux éditions Austral – une enquête sur le pillage des œuvres d’art en France par les nazis –, a largement contribué à réveiller les consciences et a relancé le processus de restitution aux familles spoliées des œuvres volées en France sous l’Allemagne hitlérienne. Évoquant les relations entre le grand marchand Georges Wildenstein, aujourd’hui décédé, et l’occupant nazi, l’ouvrage fait état de son commerce prospère tout au long de la guerre : “Les Wildenstein, marchands de grand renom, ont leurs entrées dans les milieux d’amateurs d’art de plusieurs pays, y compris des nazis. Après l’armistice, Georges Wildenstein, le directeur de la firme, semble avoir exploité ses discrètes relations pour mener nombre d’opérations avec les occupants allemands. Ensuite, en 1941, il part aux États-Unis. Son attitude reste jusqu’à aujourd’hui mal connue, mais avec les progrès de la recherche historique sur le pillage artistique dans Paris occupé, on peut espérer en avoir un jour une vue plus précise”. Plusieurs passages du livre ont par la suite été repris par la presse américaine, ce qui a incité la famille du marchand à réagir.

L’Histoire en procès
Aujourd’hui, Hector Feliciano est poursuivi devant le tribunal civil de Paris par le fils et les petits-fils de Georges Wildenstein – Daniel, Alec et Guy – pour une  faute délictuelle qui met en cause la responsabilité de l’écrivain. “Hector Feliciano a fait œuvre d’historien sans en être un. Il n’a pas eu recours aux procédés de vérification en Histoire”, a plaidé l’avocat des Wildenstein, Me Jean-Luc Chartier, lors de l’audience, le 12 mai. Six millions de francs de dommages et intérêts sont demandés en réparation du “préjudice moral” causé à la famille et du tort commercial “considérable” subi par la société familiale américaine. Pour sa défense, Hector Feliciano, représenté par Me Antoine Comte, s’appuie notamment sur un témoignage de l’héritier de la collection Schloss, Alain Vernay, qui affirme que son père a été approché par Georges Wildenstein en 1940 pour récupérer la collection en échange d’un “certificat de bon aryen” pour lui et sa famille, et sur plusieurs documents des Alliés – des archives anglaises et américaines essentiellement –, montrant que Georges Wildenstein, bien que spolié et réfugié aux États-Unis en 1941, continuait ses affaires en France avec l’aide de son bras droit Roger Dequoy. Un rapport américain daté de 1946, qui dresse un premier bilan sur le pillage artistique en Europe, mentionne Georges Wildenstein dans la liste des individus en rapport avec les Allemands. Ce rapport indique que “Georges Wildenstein était en contact avec Haberstock [conseiller artistique de Hitler] et qu’il avait une pleine connaissance des transactions de Dequoy consécutives à l’aryanisation de la société Wildenstein”. “Ce document, unilatéral, est critiqué en France et ailleurs. Il n’a jamais été examiné de manière historique et critique”, a répondu Me Jean-Luc Chartier en montrant une autre version de l’Histoire : dans des lettres écrites au Commissariat aux affaires juives, dossiers consultables aux Archives Nationales, Dequoy affirme de ne plus avoir de “relations avec le juif Wildenstein depuis 1939”. Me Antoine Comte s’est indigné de “l’utilisation de telles pièces adressées aux autorités d’occupation, et donc de nature nazie”. Jugement le 23 juin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°84 du 28 mai 1999, avec le titre suivant : Wildenstein diffamé ?

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