Berlin, un musée en plein air

La ville est devenue un atelier d’architecture

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 1284 mots

Berlin est aujourd’hui la capitale mondiale de l’architecture contemporaine. S’y promener est devenu l’équivalent d’une visite de musée : celle du plus grand musée d’architecture en plein air imaginable, et la rencontre d’une myriade d’œuvres d’une extrême pluralité, signées des plus grands noms actuels.

Le 7 juin, Sir Norman Foster, l’architecte britannique le plus célèbre, recevait, sous la toute nouvelle et époustouflante coupole du Reichstag de Berlin, le Pritzker Architecture Prize, considéré comme le Nobel en la matière. Rien d’étonnant à cela, tout au contraire. D’abord parce que Foster est l’auteur de cette coupole et qu’il a donc reçu son prix (60 000 dollars et une jolie médaille en bronze) en quelque sorte dans “ses” murs. Ensuite parce que depuis la réunification de l’Allemagne et sa réélection en tant que capitale fédérale, Berlin s’est transformée en chantier à ciel ouvert, devenant ainsi le lieu où se concentre le gotha de l’architecture internationale. Outre Foster, on y trouve en pleine action l’Italien Renzo Piano, l’Anglais Richard Rogers, l’Américain Frank O. Gehry, l’Allemand Helmut Jahn, le Japonais Arata Isozaki, l’Israélien Daniel Liebeskind, ainsi qu’un carré d’as français composé de Jean Nouvel, Dominique Perrault, Christian de Portzamparc et Claude Vasconi.

Longtemps enserrée, encerclée dans son mur de béton, de barbelés et autres chevaux de frise, Berlin-Ouest manquait non seulement d’espace, mais surtout de possibilités. Sans le moindre rôle politique, économique, social ou diplomatique, elle s’était cantonnée à une seule et unique fonction culturelle, brillante certes, mais limitée. Quant à Berlin-Est, les conditions économiques qui étaient les siennes ne lui permettaient en rien de tenir son rang. 1989 arrive, le fameux mur s’effondre. L’Allemagne et Berlin sont à nouveau unis. Dès lors, tout avance à rythme échevelé, ce qui fera dire, plus tard, à Claude Vasconi : “L’architecture ici a commencé à la chute du mur. Joli paradoxe pour un architecte…” Berlin donc, redevient politique, économique, sociale et diplomatique, et ses activités culturelles passent en retrait. Décident donc de s’y installer les structures de l’État et les grandes sociétés, tant allemandes que multinationales. Un calendrier est fixé, extrêmement serré, qui prévoit le renouveau et l’ouverture à l’horizon 2000.

L’espace est là puisque Berlin est une ville à la superficie gigantesque et que des décennies d’inaction ont vu l’émergence d’un grand nombre de friches industrielles. Manquent les lieux. Toutes sortes de lieux, de travail, d’activité, de commerce, de résidence, de loisirs... La ronde commence : décision, incitation, séduction, investissements, projets, négociations, concours, consultations, édifications... Berlin change de visage, jour après jour, en un temps record. À tel point qu’aujourd’hui, la carte postale typiquement berlinoise la plus vendue n’est autre que ce qui la qualifie au mieux : une forêt de grues... En figure de proue donc, le Reichstag, évidé (45 000 tonnes de gravats), restructuré et coiffé d’une coupole par Sir Norman Foster. Une coupole gigantesque et pourtant d’une légèreté extrême, un bulbe de verre strié de cercles d’acier, accessible au public au moyen de deux rampes en spirale qui mènent jusqu’à sa pointe et d’où la vue sur les toits de Berlin est véritablement grandiose. Presque aux pieds du Reichstag, la Pariser Platz où Frank Gehry vient juste d’achever, dans son style déstructuré si particulier, le siège de la DG Bank et en face duquel s’élèvera, dans quelques mois, l’ambassade de France de Christian de Portzamparc, un projet très urbain qui a fait couler beaucoup d’encre.

Mais le nœud central de la révolution architecturale berlinoise se trouve à quelques centaines de mètres plus au sud, articulé sur la Potsdamer Platz, face à la sublime Philharmonie de Hans Scharoun et à la non moins sublime Galerie d’art moderne de Ludwig Mies Van Der Rohe. Là, sur la Postdamer Platz, c’est Renzo Piano, l’architecte entre autres du Centre Pompidou, qui a hérité du gros morceau. Plus que d’une série de bâtiments, plus que d’un îlot, c’est d’un véritable quartier qu’il convient de parler. Un quartier très structuré et pourtant empli de décrochés et de découvertes, où dominent la brique, le verre et l’acier. Centre nerveux du futur Berlin, le quartier de la Potsdamer Platz accueille aussi bien des bureaux, des logements, un centre commercial, un hôtel, des restaurants que des lieux de loisirs, tels un théâtre, des cinémas et un casino. Une étrange combinatoire qui mêle, sous la férule de Piano, une réalité berlinoise, une sensation parisienne et des impressions d’Italie. Se confrontant à la composition de l’Italien, deux architectures signées de Richard Rogers – son vieux complice de Beaubourg – et d’Arata Isozaki viennent enrichir l’ensemble, créer ruptures et transitions. Tandis que de l’autre côté de l’avenue, Helmut Jahn, l’Allemand de Chicago, démontre à nouveau, avec le siège de Sony, son goût pour un high-tech expressionniste, sa maîtrise du verre et de l’acier, des transparences et du gigantisme.

Arpenter le nouveau cœur de Berlin, depuis le Reichstag jusqu’à la Potsdamer Platz, en s’autorisant un crochet par la Friedrischstrasse pour aller admirer les cônes inversés et sérigraphiés conçus par Jean Nouvel pour les Galeries Lafayette, n’empêche pas, ensuite, de rayonner d’est en ouest et du nord au sud, et d’aller à la découverte de quatre autres bâtiments flamboyants. D’abord, celui accueillant le Musée d’art contemporain dans l’ancienne Hamburger Banhof, gare admirablement réhabilitée et reconvertie par Josef Kleihus et qui présente toujours de remarquables expositions. Puis, à Tegel, plus loin à l’ouest, se confronter à Borzig, les anciennes usines où furent construites, de 1850 à 1950, quatre-vingts pour cent des locomotives allemandes et que Claude Vasconi a transmué en un gigantesque (120 000 m2 !) espace commercial, unifiant bâtiments anciens et nouveaux au moyen d’une étonnante toiture, sorte d’immense membrane ondulée qui fait également office d’isolant thermique. Métal sur métal, vibrations métalliques, composent ici une ode étrange à la modernité…
Loin vers l’est, très au-delà de l’Alexander Platz, en direction de Moscou pourrait-on encore imaginer, se dresse le complexe sportif édifié par Dominique Perrault, composé d’un vélodrome et d’une piscine olympique. Se dresse, ou plutôt s’enterre dans un creux de terrain et se cache derrière une barrière de quatre cent cinquante pommiers, une stratégie habituelle chez Perrault… Un gigantesque camembert métallique, une structure primaire, une sculpture minimaliste qu’il convient de pratiquer un jour de grande compétition sportive afin de mieux comprendre ce qu’être berlinois veut dire. Retour au centre, sur la Lindenstrasse, avec, pour terminer cette promenade architecturale, le Musée juif de Daniel Liebeskind : un lieu étrange et chargé de mémoire, un travail sur le vide, avec, en guise d’ouvertures, des meurtrières qui évoquent les déchirures de l’histoire. Du béton et du zinc, gris et brutaux, qui confèrent à l’ensemble une violence terrible, une tension presque insoutenable. Et à l’intérieur de cette forme étrange qui n’est autre qu’une étoile de David déstructurée, un jeu constant sur les pentes et les dévers pour mieux créer malaise et recueillement. Une architecture dialectique et, littéralement, vertigineuse.

A voir

- BERLIN, VILLE OUVERTE : LA VILLE COMME EXPOSITION, jusqu’en juin 2000, Berliner Festspiele GmbH, tél. 49 30 24 58 90, tlj 10h-18h. (plans et maquettes présentent la transformation urbaine de la ville au cours des dix dernières années). - LA GÉOMÉTRIE COMME FORME : SCULPTURES DE L’ART MODERNE D’ALBERS À PAIK, jusqu’au 11 juillet ; CHEFS-D’ŒUVRE DE L’ALTE NATIONALGALERIE, 10 juillet-1er janvier, Neue Nationalgalerie, Tiergarten, Potsdamerstr. 50, tél. 49 30 266 26 47, lundi-vendredi 10h-18h, sam.-dim. 11h-18h. - AMAZONES DE L’AVANT-GARDE RUSSE 10 juillet-17 octobre, Deutsche Guggenheim, Unter den Linden 13-15, tél. 49 30 34 07 40 10, tlj 10h-20h. - OTTO DIX : L’ŒUVRE GRAVÉ, jusqu’au 22 août, Kunstforum Grundkreditbank, Köpenicker Bank, Budapesterstr. 35, tél. 49 30 26 98 15 74, tlj 10h-18h. - MIES VAN DER ROHE,11 août-10 octobre, Bauhaus, Klingelhoeferstr. 14, tél. 49 30 25 40 02 78, tlj sauf mardi 10h-17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Berlin, un musée en plein air

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