Art moderne

Un été finlandais à Strasbourg

Trois expositions pour découvrir peintres, photographes et jeunes artistes

Par Jean-François Lasnier · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 929 mots

STRASBOURG

Venus pour la plupart étudier en France, les peintres finlandais des années 1870-1920 reviennent à Strasbourg cet été, le temps d’une passionnante rétrospective dominée par la personnalité d’Akseli Gallén-Kallela. Cinquante ans de photographie, de 1890 à 1939, et une exposition de jeunes artistes complètent ce panorama de l’art en Finlande.

STRASBOURG - À l’exception d’Akseli Gallén-Kallela, les artistes finlandais restent largement méconnus en France. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Dans le dernier quart du XIXe siècle, Paris accueille en effet une importante colonie de peintres venus de Finlande qui connaissent un certain succès. Ainsi, le fameux Portrait de Pasteur par Albert Edelfelt, reproduit dans tous les livres d’histoire, soulève l’enthousiasme de la critique. Cette immersion dans le milieu artistique parisien ne parvient pas pourtant à effacer leur singularité. “Les artistes finlandais viennent à Paris apprendre le métier et découvrir l’art français, puis repartent dans leur pays faire de l’art finlandais”, remarque Rodolphe Rapetti, l’un des commissaires de l’exposition à l’Ancienne Douane. Il en veut pour preuve l’exemple de Fanny Churberg, séduite par l’art de Courbet mais dont les paysages ne peuvent se résumer à une imitation du maître d’Ornans. Le Convoi d’un enfant, d’Edelfelt, illustre également cet apparent paradoxe : inscrite dans le courant naturaliste alors dominé par Jules Bastien-Lepage, l’œuvre baigne dans la lumière métallique du Nord, inconnue sous nos latitudes. Gallén-Kallela lui-même – c’est l’une des surprises de l’exposition – a subi dans ses premiers travaux, comme La Vieille au chat, l’influence de Bastien-Lepage. S’émancipant bientôt de cette tutelle, il développe avec Pekka Halonen et Victor Westerholm une vision épique du paysage, nourrie par des voyages en Laponie et en Carélie, et non dénuée d’implications symboliques.

D’esthétique, la singularité se fait également thématique avec l’émergence de l’art kalévaléen, inspiré du Kalévala, l’épopée nationale relatant l’histoire primitive des Finnois. Ces légendes, grâce auxquelles la Finlande s’offre l’Histoire qui lui faisait défaut, trouvent en Gallén-Kallela – encore lui – leur plus grand illustrateur ; La Mère de Lemminkäinen, tirée de ces récits, est aujourd’hui considérée comme la “pietà finlandaise”. Sans doute exalté par son sujet, le peintre se laisse pourtant aller à des outrances expressives auxquelles on peut préférer les inquiétudes existentielles de Magnus Enckell. À la poésie symboliste de ce dernier, déclinée dans des tons sombres, allait bientôt succéder le règne de la couleur avec le Néo-impressionnisme, et surtout, avec Tyko Sallinen, la déflagration expressionniste. Malgré son audace et sa manière acquise en Europe, il reste fidèle à la représentation traditionnelle du peuple, telle qu’elle apparaît au début de l’exposition. Ellen Thesleff développe, quant à elle, un expressionnisme chromatique qui la mène aux limites de l’abstraction. Les émules du Cubisme ou de Chagall convainquent moins, en revanche.

Akseli Gallén-Kallela, dont la personnalité domine la rétrospective de l’Ancienne Douane, ouvre également, au Musée d’art moderne et contemporain, la présentation de la photographie finlandaise, terrain vierge dont la découverte “apporte une pierre à l’histoire de la photographie”, note modestement Sylvain Morand, commissaire de l’exposition. Dans un autoportrait baptisé Le Gardien du Sampo, en référence au Kalévala, il se représente ironiquement avec un savon à la main. “Ses photos ne sont pas des modèles pour des tableaux ; il y met en scène sa propre vie, son identité”. Le caractère intime de son travail, dans lequel on découvre les formes généreuses de son épouse, ne l’empêche pas d’être sensible à l’esthétique du Bauhaus et du Constructivisme, à l’instar de Vilho Setälä ou Aho & Soldan. Étude du mouvement, vues en plongée, exploration du monde industriel et urbain en pleine expansion, ces emblèmes du mouvement moderne sont autant de pavés dans la mare du Pictorialisme, dominant en ce début de XXe siècle.

Artistes d’aujourd’hui
Du seuil des salles de photos, on aperçoit les traces de pneu d’un dragster que Tommi Grönlund et Petteri Nisunen ont lancé dans la nef du musée. Après la performance, ne subsistent que les longues traînées noires du véhicule dont l’assourdissant vacarme continue de hanter l’espace. Plus loin dans la nef, ce sont les octogones d’Esko Männikkö qui flottent au-dessus du sol. À l’intérieur, l’artiste a disposé ses panoramas photographiques réalisés aux quatre coins du monde, stigmatisant les souillures infligées par l’homme au paysage. “Finnish Line : Starting Point”, plutôt que d’organiser la présentation de ces jeunes artistes finlandais en fonction d’une thématique artificielle, préfère mettre en évidence la diversité des démarches, même si plusieurs d’entre elles se retrouvent sur la problématique du rapport au corps et de l’identité, comme dans les installations vidéo d’Eija-Liisa Ahtila. Si la récente lauréate de la Biennale de Venise a déjà exposé en France, c’est la première apparition d’Elina Brotherus. Dans la série Lune de miel, désespérément seule, elle promène sa mine déprimée dans toutes sortes d’endroits. Plus loin, un triptyque la montre successivement dans les habits de mariés de son père, de sa mère, et dans la robe de deuil de cette dernière – émouvante tentative de s’approprier une histoire familiale douloureuse autant qu’invitation lancée au spectateur de partager cette expérience.

- L’HORIZON INCONNU, L’ART EN FINLANDE 1870-1920, Ancienne Douane, 1a rue du Vieux-Marché-aux-Poissons, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 52 50 00, jusqu’au 12 septembre, tlj 11h-18h30. Catalogue, 330 p., 150 F. Puis à Lille du 8 octobre au 3 janvier - FINNISH LINE : STARTING POINT. JEUNES ARTISTES FINLANDAIS, jusqu’au 26 septembre, et INTIMITÉ ET NOUVELLE VISION, LA PHOTOGRAPHIE FINLANDAISE 1890-1939, jusqu’au 12 septembre, Musée d’art moderne et contemporain, 1 place Jean-Hans-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 52 50 00, tlj sauf lundi 11h-19h, jeudi 12h-22h. Catalogues, 136 p. et 70 p., 135 F et 80 F.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Un été finlandais à Strasbourg

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