Les écomusées : des institutions différentes à la découverte d’un autre patrimoine

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 1333 mots

De la création de l’Écomusée de la Grande Lande à l’étude du milieu urbain, les écomusées se sont, depuis trente ans, largement développés sur l’ensemble du territoire. Un historique et des exemples, complétés par une sélection d’expositions estivales, montrent comment ils continuent, en conservant et en interprétant un patrimoine matériel et immatériel, à penser hier et aujourd’hui pour demain.

Nés à la fin des années soixante, époque de “retour à la terre” et de prise de conscience des identités régionales, les écomusées sont aujourd’hui plus d’une quarantaine en France. Musées différents, ils conservent des biens matériels (outils, maisons, paysages), mais aussi immatériels (témoignages, coutumes), avec pour souci l’écoute de la population sur laquelle ils se penchent, et le partage de ce patrimoine avec un public large.

Suite logique du développement des musées d’identité et de folklore, entamé en France à la fin du XIXe siècle, l’écomusée marque la rencontre des “musées du temps” apparus dans les années cinquante (Musée dauphinois, Musée de Bretagne...) et des “musées de l’espace” que sont les parcs naturels régionaux créés en 1967. Ils sont une “expression du temps, quand l’explication remonte en deçà du temps où l’homme est apparu, s’étage à travers les temps préhistoriques et historiques qu’il a vécus, débouche sur le temps qu’il vit. Avec une ouverture sur les temps de demain...”, mais aussi une “interprétation de l’espace. D’espaces privilégiés, où s’arrêter ou cheminer”, comme l’écrivait Georges-Henri Rivière, créateur du Musée national des arts et traditions populaires.

Fondateur des écomusées, celui-ci inaugure en 1969 le premier musée de plein air en France, celui des Landes de Gascogne, près d’un siècle après l’ouverture en 1891 du Musée de Skansen, à Stockholm, initiateur du genre en Europe. Placé au milieu d’une pinède, il met en valeur l’airial de Marquèze, sa maison de maître du XIXe siècle et ses dépendances. Complété par un Musée du patrimoine religieux et des croyances populaires, ce site aujourd’hui nommé Écomusée de la Grande Lande dépasse le simple rassemblement de bâtiments anciens. Il n’est pas uniquement un musée de maisons : la dimension humaine du lieu y est abordée par l’intermédiaire de l’habitat – qui a d’ailleurs été reconstitué –, du travail et de la vie quotidienne, et dès 1974, la conservation des espèces animales et végétales y est assurée. C’est pour baptiser ces initiatives, regroupant l’idée d’environnement et de musée, que le terme d’écomusée a été avancé en 1972.

Un miroir de la population
Mais l’écomusée ne peut se résumer à la simple présentation d’un patrimoine, aussi innovante soit-elle. Il est, comme le disait Georges-Henri Rivière, un “miroir où cette population se regarde, pour s’y reconnaître, [...] un miroir que cette population tend à ses hôtes, pour s’en faire mieux comprendre, dans le respect de son travail, de ses comportements, de son intimité”. Cette prise en compte de la population, mais aussi du public, est une des innovations fondamentales apportées par l’écomusée. Elle est centrale dans la création, en 1971, sur un modèle communautaire et autogestionnaire cher aux années soixante-dix, du Cracap (Centre de recherche, d’animation et de création pour les arts plastiques), qui avait pour mission d’intéresser la population à l’art contemporain, avant de se transformer en 1974 en Écomusée du Creusot-Montceau-les-Mines. La communauté est placée au centre de la réflexion, chacun est invité à conserver le patrimoine in situ. Cette expérience marque l’utopie d’un musée vivant, opposé au musée traditionnel qui, par définition, est tourné vers le passé : “La communauté tout entière constitue un musée vivant dont le musée se trouve en permanence à l’intérieur. Le musée n’a pas de visiteurs, il a des habitants”, écrivait en 1973 Hugues de Varine, un des principaux animateurs du lieu. Bien que ces deux exemples soient significatifs de la naissance et des origines des écomusées, ils n’en fixent pas pour autant les dogmes, chacun d’entre eux obéissant à une réalité différente. Cette pluralité est sensible dans leurs modes de fonctionnement et de financement : si quelques-uns sont associatifs, et donc privés, comme celui de Fourmies-Trélon (Nord-Pas-de-Calais), l’Écomusée de Rennes et d’autres dépendent de collectivités territoriales. De plus, une grande partie d’entre eux est contrôlée par la Direction des Musées de France, assurant l’inaliénabilité des collections. Une des particularités de l’écomusée est sa capacité à l’évolution. Philippe Ifri, délégué général de la Fédération des écomusées et musées de société, défend ces différences, tout en rappelant les constantes des écomusées : “le territoire, la pluridisciplinarité des approches et un lien particulier avec le public”.

Les objectifs initiaux du Creusot-Montceau-les-Mines, en Bourgogne, par exemple, ont évolué et ne sont plus si radicaux. “Cette approche coïncidait avec les années soixante-dix. Nous étions des “cultureux pieds nus” dans un quasi-désert culturel. La situation a changé aujourd’hui, et l’évolution fait partie de la définition même de l’écomusée”, explique Patrice Notteghem, actuel conservateur de l’Écomusée du Creusot-Montceau. Si l’institution a perduré, c’est grâce à sa collection, estime-t-il. Les collectes continuent. Elles se focalisent surtout vers les produits industriels du début du siècle, période où le retard pris amène à l’urgence. La collecte des objets est d’ailleurs un des rôles des écomusées, témoins d’une société en constante mutation. Fidèles à leur mission ethnographique, et à la phrase de l’ethnologue Marcel Mauss selon laquelle “une boîte de conserve caractérise mieux nos sociétés que le bijou le plus somptueux”, ils recueillent des “objets témoins”, amenés à disparaître, malgré leur banalité, dans un passé encore proche. C’est d’ailleurs le propos de l’exposition “Les Objets mystérieux”, qui se tient au Creusot-Montceau jusqu’au 30 septembre. Des objets usuels d’il y a un demi-siècle, comme le fer à repasser que l’on faisait chauffer sur une plaque, n’ont plus d’utilité aujourd’hui ; ce sont des pièces “en voie de disparition” : ce décalage technologique, révélateur d’une rupture importante entre les générations, prouve la rapidité des modifications subies par notre civilisation.

Les objets contemporains ont aussi droit de cité dans les collections, car pour Marc Goujard, directeur de l’Écomusée de Fourmies-Trélon, “l’écomusée, c’est aujourd’hui préparer demain”. Selon les thèmes abordés par les expositions temporaires, l’équipe scientifique lance des “appels au peuple” pour collecter des objets significatifs. Ainsi, l’exposition “Nord-Pas-de-Calais, terre de brasserie”, organisée jusqu’au 31 août par le Centre d’ethnologie régionale de Béthune dans la Maison du Bocage – une des nombreuses antennes de l’Écomusée – a été l’occasion de solliciter des brasseries pour obtenir des objets d’actualité. Constituées dès 1980, les collections de l’Écomusée comptent aujourd’hui plus de 100 000 pièces du XVIIIe siècle à nos jours. Complété chaque année par un millier d’objets, composé de dons à 95 %, cet ensemble prouve l’intérêt de la population pour son patrimoine et sa confiance en une institution qui lui est proche.

Des anciennes mines de potasse, rachetées et sauvées par l’Écomusée d’Alsace à Ungersheim, aux alambics de l’Écomusée du pays de la cerise de Fougerolles, ce sont autant de bâtiments, de paysages, d’objets, mais aussi de métiers et de témoignages qui sont conservés et transmis par ces établissements. Loin d’être tournés vers des époques révolues, ceux-ci appellent à connaître le passé pour construire le futur.

A voir

- Écomusée de la communauté Le Creusot-Montceau-les-Mines, château de la Verrerie, 71200 Le Creusot, tél. 03 85 73 92 00, tlj 10h-12h et 14h-18h. - Écomusée de la région de Fourmies-Trélon, 59610 Fourmies, tél. 03 27 60 66 11, tlj 9h-12h et 14-18h, week-end et jours fériés 14h30-18h30, groupes sur réservation. - Écomusée de la Grande Lande, Marquèze, 40630 Sabres, tél. 05 58 08 31 31. Ouvert de la fin mars au 1er novembre : juin-septembre, tlj 10h10-12h10 et 14h-16h40 ; mars, avril, mai et octobre 14h-16h, dim. 10h10-12h10 et 14h-16h40. Pour en savoir plus - Fédération des écomusées et musées de société 2 avenue Arthur-Gaulard, 25000 Besançon, tél. 03 81 83 22 55. - La muséologie selon Georges-Henri Rivière, Dunod, 1989 - Territoires de la mémoire, Éditions de l’Albaron, 1992, disponible auprès de la Fédération des écomusées et musées de société. - “Écomusées et musées de société�?, Pour, n° 153, Grep, 13 rue des Petites-Écuries, 75010 Paris, tél. 01 48 24 50 36.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Les écomusées : des institutions différentes à la découverte d’un autre patrimoine

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