Marqués mais pas remarqués

L’étrange aventure des chenets volés à Compiègne

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 578 mots

Deux paires de chenets, dérobées avec une vingtaine d’objets d’art en 1998, ont été restituées au Musée national du château de Compiègne. L’une a été retrouvée chez Christie’s à Amsterdam, l’autre a été proposée, en toute innocence, par un antiquaire anglais au musée. Elles étaient pourtant facilement identifiables par les professionnels, qui font souvent fi de l’origine des pièces.

PARIS. C’est à Amsterdam, chez Christie’s, qu’ont été découverts les chenets “au lion debout”. “Les photos des objets ont été remises à notre département inventaire. Le département mobilier a fait les recherches nécessaires avant la vente et a signalé aux autorités néerlandaises qu’ils avaient été volés”, affirme la maison de vente. Objets inaliénables appartenant au patrimoine public, ils viennent d’être restitués au Musée du château de Compiègne. La paire dite “au lion couché”, second lot de chenets en bronze dérobés au château de Compiègne lors d’un cambriolage en mai 1998 avec des pendules et des objets des XVIIIe et XIXe siècles (une vingtaine au total), a également retrouvé sa place dans la demeure royale, après un parcours pour le moins surprenant. Passée inaperçue à la Biennale des antiquaires à Paris – la paire de chenets n’a attiré l’attention d’aucun expert de la commission du salon –, elle a été, sur la suggestion d’un conservateur du Louvre, proposée par le marchand anglais Pelham à Jacques Pérot, directeur du musée-château. “Dans un premier temps, les chenets ont été identifiés comme venant de Compiègne, mais il fallait être sûr qu’il s’agissait bien des chenêts volés, explique Jacques Pérot. J’ai donc envisagé de les acquérir pour le musée et ai présenté une demande au comité d’acquisition des Musées de France. Parallèlement, je les ai fait venir, et lorsque j’ai pu vérifier qu’ils venaient bien du cambriolage, j’ai annoncé que leur achat n’était plus à l’ordre du jour.”

Pas de vérification
Certes, l’antiquaire anglais n’était pas conscient de leur origine, mais aurait-il pu les reconnaître ? Ces chenets, comme tous les autres objets dérobés, sont parfaitement identifiables : la marque de Compiègne, apposée depuis le Premier Empire, ainsi qu’un numéro d’inventaire sont visibles (ils n’ont pas été dissimulés par les receleurs dans les cas présents). De plus, à Compiègne, un inventaire des biens du château a été soigneusement tenu avec des photos de toutes les pièces. “Si un expert voit une marque de Compiègne sur un objet, il peut nous appeler en nous précisant les numéros inscrits”, rappelle Jacques Pérot. Selon le commissaire Jean-Michel Mimran, chef de l’Office central de répression du trafic des biens culturels (OCBC), là n’est pas le problème. “Les professionnels sont persuadés qu’ils n’ont pas les moyens de vérifier l’origine des objets. C’est faux. La vérité est que ce n’est pas leur première préoccupation.” Pour preuve, l’OCBC a mis au point une base de données nationale qui fonctionne depuis 1995, TREIMA (Thesaurus de recherches électroniques en imagerie et en matière artistique). Pour chaque objet d’art volé en France, une fiche informatique est créée avec un descriptif et une photographie. TREIMA est ouvert à la consultation des marchands. Celle-ci n’est pas anonyme – pour ne pas risquer de renseigner un receleur –, mais c’est la seule condition d’accès. “Notre travail est, à partir d’un ou plusieurs objets retrouvés, de démanteler des filières qui prennent de plus en plus d’envergure à cause de la demande de pièces sur le marché international, aux États-Unis notamment, indique le commissaire. Il y a des marchands qui nous aident, mais ce n’est pas encore l’état d’esprit général”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Marqués mais pas remarqués

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