Musée

Quatre continents à quai

Le musée des arts et civilisations prend forme

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 1999 - 924 mots

PARIS

Le Musée des arts et civilisations du quai Branly, « grand chantier » du président Jacques Chirac, devrait connaître au début de l’année prochaine le nom de son architecte. Dans le même temps, une antenne du futur musée ouvrira au Louvre. Traversé depuis sa création par l’opposition entre regard esthétique et scientifique, le musée parviendra-t-il à un équilibre ?

Créer “un musée d’art et de civilisation consacré à des sociétés qui, aujourd’hui, ne sont pas traitées dans leur plénitude, mais écartelées à l’intérieur de différentes institutions”, telle est la principale ambition affichée par Stéphane Martin. Ancien directeur du cabinet de Philippe Douste-Blazy au ministère de la Culture, il a été nommé en début d’année président de l’Établissement public administratif du Musée du quai Branly, chargé de la mise en place du Musée des arts et civilisations (MAC). Ce projet, largement critiqué (lire le JdA n° 68, 9 octobre 1998), est aujourd’hui concrétisé par un concours réunissant quinze architectes ou équipes d’architectes (lire le JdA n° 87, 27 août), dont quatre lauréats du Pritzker Prize : le Français Christian de Portzamparc, bien connu des Parisiens, l’Italien Renzo Piano, qui semble déjà très occupé par l’extension de l’Art Institute de Chicago et la construction d’un musée de sculpture moderne à Dallas, le Britannique Norman Foster, auréolé par sa réhabilitation du Reichstag, et le Japonais Tadao Ando. L’association de ce dernier avec le Français Jean-Michel Wilmotte, déjà choisi pour aménager les salles d’arts “primitifs” dans le pavillon des Sessions au Louvre, propose, du moins sur le papier, un projet susceptible de s’attirer les bonnes grâces du Président, dont le goût pour la culture japonaise est connu. Jean Nouvel, probablement motivé pour inscrire un deuxième bâtiment au bord de la Seine, pourrait aussi y trouver un terrain idéal. Sont également en lice Peter Eisenmann, les avant-gardistes d’outre-Manche de Future System et le Néerlandais Rem Koolhaas. Quant à Chaix et Morel, moins reconnus à l’étranger, ils bénéficient de leur expérience dans le domaine muséographique. L’opacité étant la règle, ces projets ne seront dévoilés qu’après le choix du président de la République parmi les trois finalistes désignés par le jury, le 4 décembre. Le chantier, estimé à 1,1 milliard de francs, doit débuter en 2001 pour s’achever en 2004.

Une annexe au Louvre permanente ou jusqu’en 2004 ?
Presque dix ans se seront donc écoulés entre le lancement par un président Chirac passionné du projet d’un musée des arts “primitifs” et l’inauguration du Musée des arts et civilisations d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des Amériques. Mais, dès les premières semaines de l’an 2000, le Louvre accueillera une sélection d’une centaine de pièces dans le pavillon des Sessions, voisin des jardins du Carrousel. Cette exposition, conduite par Jacques Kerchache, ancien marchand d’art et proche de Jacques Chirac, a pour vocation d’être permanente et complémentaire du projet du quai Branly. “C’est un témoignage de respect ; nous donnons ainsi à ces œuvres un statut équivalent à celui d’œuvres occidentales”, explique Stéphane Martin. Accessible par la porte des Lions, cette annexe, objet d’une opposition certaine, n’est pas pour autant intégrée dans le Musée du Louvre. Sous la direction de Christiane Naffah, conservatrice détachée par l’Établissement public du quai Branly, l’antenne partage uniquement avec le Louvre les locaux, le gardiennage et la billetterie. Une convention a été signée entre les deux parties, portant sur la mise à disposition de 1 400 m2. L’Établissement public du quai Branly étant amené à disparaître une fois sa mission terminée, une nouvelle convention devra être signée en 2004.

D’ici là, le MAC devrait disposer d’une superficie d’exposition de 9 000 m2, dont 7 000 pour les collections permanentes. Leur présentation sera divisée en “quatre aires culturelles”, elles-mêmes morcelées entre “une salle d’appel”, condensé des œuvres d’une région, une salle d’approfondissement regroupant séries et évolutions stylistiques, et des salles plus didactiques accueillant des postes multimédias. Auprès de Maurice Godelier, ethnologue, directeur d’étude à l’École des hautes études en sciences sociales et responsable scientifique, Germain Viatte, ancien directeur du Musée national d’art moderne, est chargé de cette conception muséographique. En novembre, ce dernier succédera d’ailleurs à Jean-Hubert Martin à la direction du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO). Sa disparition pourra ainsi se faire en douceur, ses collections – environ 12 000 objets – devant rejoindre le quai Branly, laissant le bâtiment seul avec les poissons qu’il héberge dans ses sous-sols. Quant au Musée de l’homme, il doit se séparer des 300 000 pièces qui forment  ses collections ethnologiques. Son avenir est suspendu à la restructuration en cours du Muséum d’histoire naturelle. Ces deux ensembles, enrichis d’une enveloppe de 150 millions de francs destinée à de nouvelles acquisitions, constituent le fonds du musée. Ce mariage arrangé le place sous la double tutelle des ministères de l’Éducation et de la Culture, dualité renforcée par l’opposition entre esthétique et ethnologie. Dépasser ce clivage est le principal défi du futur musée.

Espace de rencontre entre les civilisations, l’art contemporain avait été privilégié par Jean-Hubert Martin au MAAO. Une place équivalente lui sera-t-elle accordée ? Stéphane Martin se refuse à voir l’établissement devenir “un musée de l’art contemporain non occidental”, mais plaide pour “des créations contemporaines inscrite dans une architecture du XXe siècle, bien sûr complétées par des expositions”. En effet, le musée compte sur ses 150 millions de frais de fonctionnement annuels pour mener une politique d’expositions permettant d’alterner ou de croiser des regards parfois antinomiques. Toutefois le “respect”, souvent évoqué par Stéphane Martin pour combler les fossés, est décidément le maître mot d’un projet peut-être justifié mais encore difficile à apprécier.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°88 du 10 septembre 1999, avec le titre suivant : Quatre continents à quai

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