Istanbul conjure le séisme

Un vaste élan de générosité permet à la Biennale d’avoir lieu

Le Journal des Arts

Le 24 septembre 1999 - 819 mots

Malgré le terrible tremblement de terre qui a frappé la Turquie au mois d’août, la sixième Biennale d’Istanbul s’est ouverte le 17 septembre. « Aucun des lieux de l’exposition, que ce soient les édifices historiques de la ville, la citerne Yerebatan ou l’église Sainte-Irène, n’a été touché par le séisme, nous a déclaré le commissaire de l’exposition, Paolo Colombo. Mais nous devons transformer en partie l’esprit de la manifestation ».

ISTANBUL - De nombreuses fondations – notamment américaines – ont répondu à l’appel lancé par les organisateurs, à l’exemple de la Andy Warhol Foundation ou des 100 000 dollars promis par la famille Norton de Santa Monica. Ces dons ont permis de financer la manifestation après le retrait compréhensible de certains financements publics turcs. Par ailleurs, des artistes de la Biennale, comme Muñoz, Kentridge, Oursler, Turk, Rist, Rondinone ou Uluc, ont offert des œuvres qui ont été mises aux enchères au profit des victimes du séisme. De même, l’intégralité de la recette des billets d’entrée leur sera reversée. Quelques jours avant la catastrophe, Paolo Colombo nous avait accordé un entretien où il détaillait le propos et les lieux de l’exposition.

Le titre de la VIe Biennale d’art contemporain d’Istanbul, “La passion et l’onde”, laisse penser que les ressources émotionnelles de l’art vont être largement mises à contribution. Quelles sont les lignes directrices de cette édition ?
Le titre est en partie un hommage à Antonis Dhiamantichis alias Dalgas, un chanteur d’”Amanedhes” qui interprétait des mélodies d’une ou deux strophes, ponctuées de l’interjection “Aman” (“hélas” ou “miséricorde”) pour laisser libre cours à l’improvisation vocale et à l’émotion. Dhiamantichis a choisi son nom d’artiste en 1910, à l’âge de 16 ans, à ses débuts de professionnel de la chanson. Dalgas signifie “passion” en grec et “onde” en turc. Pour lui, aucun autre mot ne pouvait décrire l’intensité de sa musique et de sa voix dans ses rhapsodies. Il évoquait aussi son héritage multilingue et la ville sur le Bosphore où il est né, l’une de ses sources d’inspiration. Le titre de la Biennale est donc un hommage à Istanbul, à travers le nom d’un de ceux qui l’ont chantée. Il souligne l’orientation conceptuelle de l’exposition et également un intérêt profond pour les histoires individuelles. Cette biennale reflète inévitablement la conscience de notre temps : les mutations rapides, l’aspect technologique et les échanges entre cultures qui font partie de notre expérience du monde. Le titre évoque une ville et la poésie alexandrine, caractérisée par son expression concise, claire mais aussi par une sensibilité intense et revendiquée.

Istanbul regorge de monuments et d’espaces extraordinaires. Quelles sont les interventions d’artistes en relation directe avec ces espaces ?
L’itinéraire commence sous terre, dans la citerne de Yerebatan, construite par Justinien au VIe siècle, et se poursuit à l’église Sainte-Irène. Son cœur se situera au Centre culturel Dolmabahçe, les anciennes cuisines du palais du sultan sur le Bosphore, bâties au début du XIXe siècle et aujourd’hui transformées en espace d’exposition. Une installation d’Ugo Rondinone et de grands panneaux publicitaires mis à la disposition d’Elina Brotherus et de Christopher Wool signalent la présence de la Biennale en Asie.

La ville se caractérise aussi par sa situation historique de carrefour entre deux continents, deux civilisations, une condition qui s’inscrit parfaitement dans les concepts très actuels de multifonctions, d’hybridation et de mondialisation. Les artistes que vous avez sélectionnés répondent-ils à ces critères ?
La Biennale rassemble des artistes de 32 pays et des cinq continents. Chaque lieu possède son contexte culturel. La Turquie, depuis l’Empire ottoman, a des liens étroits avec le continent asiatique. Plutôt qu’en termes de quantité, cet aspect se ressent par une certaine présence, par exemple les travaux de Victor et Yelena Vorobyev. Ces deux artistes du Kazakhstan s’inspirent du rapport problématique entre la culture européenne classique et celles de l’Asie centrale. “La passion et l’onde” se propose de mettre en évidence les attitudes critiques par rapport à la mondialisation, dans le sens de processus d’homologation et d’occidentalisation du monde.

À propos de nationalité, comment avez-vous “dosé” les différentes provenances des artistes et quel espace avez-vous réservé aux artistes turcs ?
J’ai pris en compte le contenu des œuvres et l’adéquation à la ligne conceptuelle de l’exposition plutôt que la nationalité des artistes. Naturellement, j’ai accordé une grande considération au territoire turc, surtout pour la qualité du travail des jeunes artistes d’Istanbul.

Dans le contexte actuel de prolifération des Biennales d’art contemporain éloignées du centre de l’Europe, on peut se demander comment des villes comme Istanbul répondent à des événements de ce type.
Istanbul n’est pas excentrée, ou alors uniquement d’un point de vue strictement européen. Elle est à l’origine et le pivot d’une culture importante, diversifiée et profonde, et d’une langue qui s’étend, sous diverses formes, des confins de la Hongrie à Almaty, au Kazakhstan. Cette Biennale est le plus grand événement artistique dans un pays musulman.

BIENNALE D’ISTANBUL

Jusqu’au 30 octobre, Différents lieux, Istanbul, rens. 90 212 251 29 89

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°89 du 24 septembre 1999, avec le titre suivant : Istanbul conjure le séisme

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