Histoires à soi

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2008 - 692 mots

Au Musée Réattu, à Arles, Christian Lacroix met en scène son univers créatif
et ses souvenirs dans un parcours foisonnant.

C’est un peu comme un livre de souvenirs en volume que Christian Lacroix propose de parcourir dans l’intégralité des salles du Musée Réattu, à Arles. Un livre où se croisent des amitiés et des passions, des sources d’inspiration et des réminiscences de chocs visuels et d’impressions diverses... : des rencontres donc, au sens le plus vaste du terme.
Invité par Michèle Moutashar, directrice de l’établissement sis dans un édifice Renaissance qui abrita le Grand-Prieuré de l’Ordre de Malte avant de devenir la demeure et l’atelier du peintre Jacques Réattu (1760-1833), le couturier semble ne pas avoir boudé son plaisir, bien au contraire. Lui qui, raconte-t-il, a passé entre ces murs nombre d’après-midi de son enfance, et découvert là une matière à rêver et à penser qui lui fut plus tard fondamentale pour la formation de son goûts et donc de sa carrière.
Reconnaissant d’entrée de jeu que les dialogues concoctés ci et là l’ont été à l’affect plutôt qu’à la recherche d’un éventuel concept, Christian Lacroix a choisi de « [s]e fier à [s]a logique illogique » pour appréhender les collections fort diverses du musée. Leur éclectisme – outre les travaux de Réattu et de nombreux contemporains, sont aussi conservés : un riche ensemble photographique (Dieuzaide, Clergue, Weston, Hervé, Brassaï...), une donation de dessins de Picasso, et des sculpteurs comme Zadkine ou Toni Grand... – est venu nourrir le sien, que l’on sait naturel et bien pourvu. Avec en prime des œillades appuyées au trop-plein assumé. « Arles aime les choses roboratives », confie-t-il. Avec six cent cinquante œuvres réunies, le qualificatif convient parfaitement, mais ne sert pas toujours ceux qu’il entend défendre. Le sept pièces de Daniel Firman, parmi lesquelles plusieurs imposantes, sont par exemple trop nombreuses pour un tel accrochage, laissant au final une impression de saturation.
Procédant par thèmes attachés à chaque salle (l’anatomie, le pli, les cheveux, la disparition, la trace, l’arlésienne, les saltimbanques, le souvenir...), le couturier a mêlé les œuvres du fonds à celles d’artistes dont il se sent proche et avec qui il entretient des relations fidèles (Véronique Ellena, Emmanuel Lagarrigue, Olivier Amsellem, Katerina Jebb, Jean-Michel Othoniel...), ainsi qu’à une sélection de ses propres modèles et accessoires de haute couture. Et il entraîne le promeneur dans des dédales narratifs foisonnants, à la fois perturbants et réjouissants.
Perturbants car, si l’on s’en tient à une lecture intellectuelle et muséale, on ne peut qu’être désarçonné par quelques raccourcis faciles. Ainsi de l’association de la peintre algérienne Baya (Grande frise, 1949) dont les motifs font écho à une robe de 2003, laquelle engage presque trop logiquement la conversation avec une céramique de Johan Creten (La Vague verticale pour B. Palissy, 2004-2006). Sans parler de tous ces murs où les pièces sont accrochées à touche-touche.
A contrario apparaît justement réjouissante cette immense liberté que s’est octroyée le créateur, faisant fi de nombre de conventions pour laisser libre cours à ses envies, dans une carte blanche où prime la quête d’ambiances poétiques et d’atmosphères. Le tout mis en œuvre avec une patte, un goût indéniable dans le faire, où le complexe n’apparaît jamais compliqué. Une grande table rassemblant un amas de bustes antiquisants cernée de clichés de la Reine Mère d’Angleterre par Cecil Beaton (1939), des portraits de Nadar du début du XXe siècle et des vues d’Arles par Robert Marteau dans les années 1960 aurait pu virer au fatras ; il n’en est rien.
Finalement, entre ces conjonctions de formes et de matières, de motifs et de sensations, d’associations et de contrastes qui parfois frisent l’incongru, mais jamais ne sonnent faux, s’esquisse un portrait de Lacroix lui-même. Celui d’un amateur passionné, doublé d’un créateur fascinant qui nous convie à explorer quelques ramifications de son esprit. Entre éléments biographiques et immersion dans une boîte à idées, c’est une identité qui se dévoile progressivement, mais ne se laisse pas appréhender si facilement !

MUSEE REATTU/CHRISTIAN LACROIX

Jusqu’au 31 octobre, Musée Réattu, 10, rue du Grand-Prieuré, 13200 Arles, tél. 04 90 49 38 34, www.museereattu.arles.fr, tlj 10h-19h, à partir du 16 septembre 10h-12h30/14h-18h30.

RÉATTU/LACROIX

- Commissaire : Christian Lacroix - Nombre d’œuvres : 650 - Surface d’exposition : 1 500 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Histoires à soi

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