Cour de Lorraine

Claude Déruet, le séducteur

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2008 - 858 mots

Le Musée des beaux-arts de Nancy rend hommage à l’artiste lorrain, dont nombre d’œuvres ont disparu, à travers un parcours passionnant.

NANCY - En 2005, le Musée des beaux-arts de Nancy a fait l’acquisition, avec l’aide du fonds du patrimoine, d’une grande toile en camaïeu de bruns, L’Enlèvement des Sabines, exécutée par le peintre lorrain Claude Déruet (v. 1588-1660). Cette œuvre fait écho à un autre tableau de l’artiste, traitant du même thème et de dimensions similaires. Conservé à l’Alte Pinakothek de Munich, il a été révélé au public français lors de la manifestation organisée, à Paris, en 2005, par Pierre Rosenberg et David Mandrella sur les peintures françaises des XVIIe et XVIIIe siècles appartenant aux collections allemandes. Aujourd’hui, les deux toiles sont réunies à Nancy pour une exposition dont le propos est moins de rendre hommage à Déruet que de lancer de nouvelles pistes de recherche autour de son œuvre. Analysé par le C2RMF avant d’être restauré, le tableau nancéien, bien que très proche de la version munichoise, n’en est pas le dessin préparatoire. Pour Sophie Harent, conservatrice au musée et commissaire de la manifestation, « il témoigne plutôt des recherches plastiques de l’artiste ». Offerte par la ville de Nancy au gouverneur de Lorraine en 1651, L’Enlèvement des Sabines de l’Alte Pinakothek voyage probablement pour la dernière fois en raison de sa grande fragilité. Encore plus soignée que la version en brunaille, la toile provenant de Munich témoigne d’un goût prononcé pour le détail et le décor. Mais il ne faut pas se méprendre : derrière une première impression de mêlée confuse, se cache une composition savante. « C’est une peinture très maligne devant laquelle le spectateur ne peut qu’abdiquer. Il est impossible d’embrasser la scène d’un seul regard, il faut s’arrêter sur les différents groupes qui la composent ; des personnages aux figures raffinées, agencées dans l’espace comme dans un ballet de Cour », explique Sophie Harent. Par ce tableau, il semble que Déruet cherche avant tout à séduire. Déjà célèbre de son vivant, auteur de portraits flatteurs dépassant les limites de la flagornerie, l’artiste a fait carrière à la cour de Lorraine — il sera anobli par le duc de Lorraine Henri II en 1621 —, mais aussi au royaume de France, auprès de Louis XIII. Richelieu lui commanda autour de 1640 une série sur les quatre Éléments dont l’une des versions, Le Feu, où éclate l’audace du coloriste, a fait le déplacement du Musée des beaux-arts d’Orléans à Nancy. « Déruet est beaucoup plus que cet artiste maniériste tardif souvent décrit par l’histoire de l’art », note Sophie Harent, qui, sans renier l’importance du séjour à Rome de 1613 à 1619, souligne la fascination de l’artiste pour la peinture flamande et hollandaise. En témoigne Le Calvaire, provenant du Landesmuseum de Mayence (Allemagne) ; peint pour Anne d’Autriche, il présente un aspect pathétique et fantastique détonnant. De manière plus générale, les paysages représentés à l’arrière-plan de ses tableaux rappellent ceux des peintres du Nord.
Nombre d’artistes ont influencé Déruet, à commencer par Jacques de Bellange (lire ci-contre), dont il a été l’élève de 1605 à 1609 et qui lui a donné le goût du décor et des compositions ambitieuses. Déruet fut aussi un proche de Jacques Callot dont sont ici exposées diverses gravures parmi lesquelles un Portrait de Claude Déruet et son fils. La scénographie s’amuse à mettre en regard les estampes de Callot et de Déruet, procédé qui ne joue pas en faveur de ce dernier. Autre personnage de premier plan : Antonio Tempesta, dont Déruet reproduit parfois certaines scènes. Citons également son maître durant les années italiennes, le Cavalier d’Arpin (Giuseppe Cesari), et Stradanus, lui-même maître de Tempesta. Sans oublier certains artistes de la seconde école de Fontainebleau, tel Antoine Caron, que Déruet a côtoyé. Aujourd’hui, il ne subsiste malheureusement que peu de peintures de Déruet et à peine une dizaine de dessins. Longtemps attribuées à d’autres, dispersées à sa mort sans laisser de traces, certaines œuvres se trouvent probablement en mains privées. C’est grâce à son inventaire après décès, qui comptabilise 1 900 tableaux et de nombreuses gravures, que les historiens ont pu mesurer l’importance de l’artiste. Redécouvert dans les années 1950 par François-Georges Pariset, il a été remis au goût du jour par Jacques Thuillier lors de son exposition « Claude Gellée et les peintres lorrains en Italie au XVIIe siècle », organisée au Musée des beaux-arts de Nancy en 1982.
Sophie Harent se défend d’avoir organisé une vraie rétrospective. Celle-ci devrait voir le jour dans les années à venir, au Musée lorrain, occupé actuellement au récolement de ses collections et à la rénovation de ses espaces. L’établissement voisin possède en effet la collection la plus importante de Déruet, des estampes et une trentaine de tableaux. Parmi ceux-ci, Le Banquet des Amazones a été restauré pour participer à cette exposition exemplaire, dont la qualité de l’accrochage le dispute à une grande rigueur scientifique.

AMAZONES ET CAVALIERS. HOMMAGE À CLAUDE DÉRUET

Jusqu’au 21 septembre, Musée des beaux-arts, 3, place Stanislas, 54000 Nancy, tél. 03 83 85 30 72, tlj sauf mardi et jf, 10h-18h. Catalogue, éd. Illustria, 96 p., 25 euros.

CLAUDE DÉRUET

- Commissaire : Sophie Harent, conservatrice du patrimoine, Musée des beaux-arts de Nancy - Montant d’acquisition de L’Enlèvement des Sabines : 350 000 euros - Nombre d’œuvres exposées : 48

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Claude Déruet, le séducteur

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