Les visions de John Soane

John Harris visite la rétrospective de la Royal Academy

Le Journal des Arts

Le 8 octobre 1999 - 765 mots

Si le nom de John Soane, l’un des architectes les plus originaux du Néoclassicisme, est associé à sa curieuse demeure de Lincoln’s Inn Fields à Londres, son grand œuvre fut incontestablement la Bank of England, rasée dans les années vingt. La Royal Academy lui offre une spectaculaire rétrospective que l’historien John Harris a visitée pour nous.

LONDRES - En pénétrant dans la Royal Academy, plutôt que de vous diriger tout droit vers “Van Dyck”, tournez immédiatement à gauche pour “Sir John Soane, maître de l’espace et de la lumière” ! Cette direction pourrait se révéler plus intrigante et étonnante. Un ensemble de modèles d’architecture de la Rome antique en liège, comme celui du temple de Vesta à Tivoli réalisé par Giovanni Altieri, accueille le visiteur. La Rome antique constitue la meilleure introduction possible, car le langage architectural classique a littéralement obsédé John Soane tout au long de sa vie. Sa carrière débute avec le grandiose projet du Triumphal Bridge de 1776, qui lui vaut la Médaille d’Or de la Royal Academy. Grâce à ce prix, il est envoyé à Rome, et les œuvres de ce séjour sont expsosées ici.

Le contenu de la maison-musée de Soane ayant été déplacé pour l’occasion, la première salle présente relevés, schémas, perspectives de J.M. Gandy, dessins et modèles. La seconde s’attache au Soane le plus connu, admiré par les architectes modernes : Pitzhanger Manor, la Dulwich Picture Gallery, et sa propre demeure du 12-14 Lincoln’s Inn Fields. Nous avançons sous des tentures reproduisant les plafonds de Soane grandeur nature et, une fois encore, les juxtapositions sont graphiquement et visuellement captivantes. Sa maison-musée prend vie sur les murs, sous le plafond de la Breakfast Room ou avec la vue composite réalisée par Gandy en 1822.

Puis, en tournant à gauche vers la grande pièce, entièrement et à juste titre consacrée à la Bank of England, se trouvent des dessins et la grande maquette de la banque réalisée par Andrew Ingham & Associates en 1833, visuellement reliée à la vue plongeante en coupe de la banque dessinée par Gandy la même année. Elle nous rappelle le commentaire d’Alain René Le Sage dans Le Diable boiteux : “Je veux soulever le toit de ce magnifique bâtiment national. L’intérieur vous sera dévoilé à la manière d’un gâteau de viande dont on ôte la croûte.” Non loin se trouvent les photographies prises par F.R.S. Yerbury, juste avant la scandaleuse démolition de l’édifice en 1925.

Enfin, la dernière salle s’attache au Soane des années 1820 et 1830, le rêveur dont, hélas, les rêves n’ont pas abouti. La succession de projets commence par la Grand National Entrance de Metropolis ; la Chambre des Lords et le Palais de Westminster ; des palais royaux et des églises ; les bureaux du Conseil privé et le Tribunal, le Freemasons Hall en 1828. Tous subsistent grâce aux perspectives de Gandy car, malheureusement, rien n’a survécu des dernières années de Soane, alors qu’il était en proie à des troubles psychiatriques. Regrettons que l’exposition n’ait pas la place d’évoquer George Dance le Jeune, éminence grise constante et obsédante – comme nous le constatons dans ses études préliminaires pour le Bank Stock Office en novembre 1791 –, ni Sir Robert Taylor, non seulement en tant qu’architecte de la banque avant Soane, avec ses salles à colonnes, mais aussi comme le seul à avoir influencé les premières villas de Soane.

Comment les architectes modernes ont-ils perçu l’influence de Soane ? Le musée de Lincoln’s Inn Fields propose une réponse dans “Inspirés par Soane : MacCormac, Meier, Moneo, Navarro”. Mais cela a-t-il de l’importance ? Est-ce que MacCormac dans la salle à manger du St John’s College, à Oxford, fait apprécier Soane ou tout simplement sa propre architecture ? Et Moneo dans la gare Atocha, à Madrid, ou Venturi dans l’aile Sainsbury de la National Gallery, ou encore Meier dans les galeries de peintures du Musée Getty ? Je pense que la réponse est un non catégorique. Ces architectes ne possèdent qu’une compréhension partielle de Soane. Contrairement à C.R. Cockerell qui a revigoré le langage classique, leur architecture est un emprunt stérile et facile. Ils ont été incapables de traduire l’architecture de Soane en un langage commun adapté au présent.

- SIR JOHN SOANE ARCHITECTE, MAÎTRE DE L’ESPACE ET DE LA LUMIÈRE, jusqu’au 3 décembre, Royal Academy of Arts, Burlington House, Piccadilly, Londres, tél. 44 171 300 8000, tlj sauf jf 10h-18h. - Inspirés par Soane : MacCormac, Meier, Moneo, Navarro, jusqu’au 25 mars, Sir John Soane’s Museum, 13 Lincoln’s Inn Fields, Londres, tél. 44 171 405 2107, tlj sauf dimanche et lundi 10h-17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°90 du 8 octobre 1999, avec le titre suivant : Les visions de John Soane

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