L’actualité vue par José Ignacio Roca

Directeur des Arts visuels à la Bibliothèque Luis Angel Arango de Bogotá

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 8 octobre 1999 - 1055 mots

Architecte et muséologue de formation, José Ignacio Roca dirige depuis cinq ans la section Arts visuels de la Bibliothèque Luis Angel Arango, à Bogotá, institution financée, comme le Musée de l’Or, par la Banque centrale colombienne. Chaque année, il y organise une vingtaine d’expositions, essentiellement d’art moderne et contemporain. Il commente l’actualité.

L’invité d’honneur de la Fiac était l’Amérique latine. Habituellement, c’est un pays et non un continent qui est à l’honneur. Comment expliquer ce changement d’échelle ?
En plaisantant, je dirais que ça ne me dérange pas. L’année prochaine, j’inviterai l’Europe à la foire de Bogota ! Nous sommes perçus comme un continent homogène ; les gens s’étonnent que nous ne travaillions pas ensemble davantage, alors que nous partageons la même histoire, la même langue. Nos histoires post-coloniales sont pourtant très différentes, et tous les pays ont des particularités très développées. De plus, les distances sont immenses : un voyage de Bogotá à Buenos Aires est comparable à un trajet Paris/Saint-Pétersbourg. Cette situation explique peut-être nos rapports avec l’Amérique du Nord ou l’Europe au détriment de nos voisins. Pour en revenir à la Fiac, il s’agit principalement d’un événement commercial et non culturel : l’Amérique latine est un “label”. Inviter un pays unique ne semblait pas évident ; seuls le Mexique et le Brésil auraient pu répondre. En Colombie, par exemple, très peu de galeries sont financièrement capables d’assumer une foire à l’étranger. Mais la sélection latino-américaine reste judicieuse : l’accrochage et le choix de Nara Roesler était très intéressant, et avec Marilia Razuk et bien sûr Thomas Cohn, son stand offrait un bon panorama de l’art moderne et contemporain brésilien. El Museo et Carlos Alberto Gonzalez, les deux galeries colombiennes, ne comblaient pas l’absence de Valenzuela et Klenner, présents à plusieurs reprises à Arco et Bâle et peut-être la seule galerie vouée à l’art contemporain en Colombie. Mais la situation financière ne leur a pas permis de venir. C’est dommage, car ils représentent de jeunes artistes très actifs.

Après la sculpture moderne il y a deux ans, les “Champs de la Sculpture” présentent cette année sur les Champs-Elysées des œuvres plus récentes. Quelle place donner à la création contemporaine dans la ville ?
Ouvrir un champ pour l’art contemporain dans un endroit aussi fréquenté est une expérience très intéressante. La réaction du public est très enrichissante ; il y a un véritable engagement vis-à-vis des œuvres, une interrogation sur leur sens. En 1992, un musée de plein air avec des sculpteurs modernes comme Segui avait été inauguré à Bogotá, mais j’estime que le temps de la “statue équestre”, montée sur un socle, est révolu. La sculpture publique est plus un événement qu’un objet.

L’exposition “Premises” l’année dernière, “Côte Ouest” actuellement... la scène artistique française fait actuellement l’objet d’une forte promotion aux États-Unis. Comment voyez-vous les aides apportées aux artistes français ?
Il y a deux ans, l’Afaa a demandé à quatre commissaires d’expositions ou conservateurs étrangers d’écrire un texte sur leurs rapports avec des institutions françaises. Le mien s’appelait Petites fables transculturelles, et évoquait les préjugés et le mépris auxquels j’avais parfois été confronté, tout en soulignant des expériences enrichissantes, comme ma collaboration avec Marie Lapalus, alors directrice du Frac Rhône-Alpes. Robert Fleck remarquait la différence entre les artistes français à l’étranger et les étrangers en France. Les Latino-Américains viennent ici avec beaucoup de difficulté, sans aide, et restent un an ou deux en s’imprégnant de la culture d’une façon très sincère. Mais un voyage pour une commande, cinq jours de repérage et une œuvre payée par l’État donnent des résultats superficiels, proches du tourisme culturel. Je pense que les gens doivent venir plus longtemps, en résidence.

Le gouvernement vient de réaffirmer son refus d’inclure les biens culturels dans le cadre des discussions de l’Organisation mondiale du commerce. Quel jugement portez-vous sur l’exception culturelle défendue par la France ?
Le système français a assurément sauvé votre cinéma du raz de marée des productions américaines. Je ne suis pas un partisan des quotas, mais il est parfois difficile de faire autrement. Nous avons l’habitude de plaisanter en décrivant le cinéma colombien comme “singulier”. Il n’y a qu’un seul film par an et les écrans sont occupés à 90 % par le cinéma américain. Même si les aides sont aisément critiquables, il faut favoriser la création, la protéger. Par l’intermédiaire de la Banque centrale, nous attribuons tous les deux ans une bourse d’environ 30 000 dollars à un artiste pour poursuivre ses études à l’étranger. Il existe aussi quelques aides du gouvernement, mais les artistes colombiens ont surtout besoin d’espaces pour exposer. Ils sont enfermés dans une ville, ses deux ou trois galeries, le Musée d’art moderne et la Bibliothèque Luis Angel Arango, sans disposer de lieux intermédiaires entre la Colombie et la scène internationale. Mais, depuis cinq ans, émergent des espaces conçus et gérés par des artistes.

Le ministère de la Culture a annoncé une série de mesures en faveur de la démocratisation des pratiques culturelles, dont la gratuité des musées nationaux le premier dimanche de chaque mois. La gratuité vous semble-t-elle nécessaire pour l’accès à la culture ?
Cela dépend du contexte, car au-delà d’une certaine fréquentation, le succès d’un projet culturel n’est plus gérable. À Beaubourg, par exemple, on va faire payer les gens pour admirer le panorama. Ce n’est pas le cas chez nous. Si la bibliothèque reçoit 11 000 personnes par jour, nos expositions attirent environ 600 visiteurs. La gratuité est la règle. Autrefois, une somme ridicule était demandée, mais cela coûtait plus que ça ne rapportait. L’accès libre permet également une plus grande familiarité avec le lieu. Le public vient visiter une salle, puis revient plus tard dans la semaine. Au Louvre ou au Metropolitan, le visiteur paye et se sent obligé de tout faire en un jour.

Botero a décidé de vous donner une partie de sa collection. L’art moderne européen est-il déjà présent en Colombie ?
Non, c’est la première collection d’art moderne occidental. En 1995, j’avais organisé une exposition avec le Musée des beaux-arts de São Paulo, la première présentation publique en Colombie d’œuvres de Van Gogh, Picasso, Renoir, Matisse ou encore Rodin. Botero nous donne à peu près 170 œuvres, dont une centaine de pièces d’art international. C’est une opportunité pour ceux qui ne peuvent pas voyager. Sinon, l’histoire de l’art devient l’histoire des images de l’art.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°90 du 8 octobre 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par José Ignacio Roca

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