De Beert à Legrain, les grandes ventes d’automne

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 5 novembre 1999 - 1735 mots

Depuis cinq ans, deux fois par an, au printemps et en automne, la Compagnie des commissaires-priseurs de Paris propose au public de découvrir en avant-première, à Drouot-Montaigne, les plus belles œuvres qui seront dispersées à Paris. Voici une sélection de quelques-unes des pièces – tableaux anciens, modernes ou contemporains, meubles classiques ou Art déco, manuscrits et autographes – qui seront exposées avenue Montaigne, du 5 au 9 novembre, avant d’être mises aux enchères en novembre et décembre, et des tableaux, mobilier et objets qui seront proposés à l’Espace Tajan.

Tableaux et dessins de maîtres anciens
Exécuté vers 1450, le tableau représente La Vierge et l’Enfant entourés par quatre saints – Dominique, Zenobe, François et Miniat. Cette œuvre de l’école florentine du XVe siècle due à Neri di Bicci (2,5 à 3 millions de francs, Drouot, 1er décembre, étude Dumousset-Debureaux), a été identifiée par un conservateur du Metropolitan à New York, spécialiste des primitifs italiens. “Arrivée en France au moment des conquêtes napoléoniennes, cette toile en bon état est demeurée depuis le XIXe siècle dans la même collection”, explique l’expert Alain Latreille.

Plus récente, Nature morte aux pièces d’orfèvrerie, panier de raisins et bouquet de fleurs (400-600 000 francs, Espace Tajan, 9 décembre), une toile attribuée à Georg Flegel, daterait des premières années du XVIIe siècle. Formé par le maître flamand Lucas van Valckenborch, Georg Flegel est le premier peintre allemand à faire des natures mortes un genre à part entière, au même titre qu’Osias Beert et Ambrosius Bosschaert. “Certains éléments, comme les pièces d’orfèvrerie, le bouquet de fleurs dans un vase décoré de grotesques, sont récurrents dans ses toiles, souligne l’expert Chantal Mauduit. On les retrouve dans deux œuvres de l’artiste, qui ont été exposées, l’une à la galerie Rafael Valls, à Londres, en 1993, l’autre cette même année à la galerie San Lucas à Vienne”. Une Nature morte aux trois vases de fleurs disposés sur un entablement d’Osias Beert (2-3 millions de francs) sera mise aux enchères le 8 décembre par l’étude Piasa, qui proposera également une paire de natures mortes au bouquet de fleurs dans un vase en verre, l’une aux poissons, l’autre aux oiseaux, du peintre napolitain Luca Forte (1600-vers 1670). Conservées dans leurs cadres d’origine en bois sculpté doré, elles sont estimées 600-800 000 francs la paire.

Dans leur vacation du 9 décembre inaugurant leur nouvel hôtel des ventes au Palais des congrès, Mes Poulain et Le Fur présenteront une Marine de Joseph Vernet (2-3 millions de francs). Elle avait été commandée par Jean-Baptiste-Félix-Hubert de Vintimille, comte du Luc, qui fut lieutenant général des armées du roi et gouverneur de la citadelle de Marseille. “Le 19 mars 1772, j’ay reçu de Mr le Comte du Luc 1800 L pour prix d’un tableau de deux pieds six pouces sur dix-huit pouces de haut”, écrivit Vernet dans son livre de comptes.

Contemporain de Vernet, Jean-Baptiste Greuze exécuta vers 1765 une étude pour le célèbre tableau, La Mère bien aimé, conservé dans une collection privée à Madrid. Le tableau représente le marquis de Laborde, qui fut banquier de la cour sous Louis XVI avant d’être guillotiné en 1794, aux côtés de sa mère, de ses enfants et de sa femme. C’est cette dernière, Rosalie de Nettine, qui est le sujet de ce pastel, Tête d’étude pour la “mère bien aimé” (300-400 000 francs), mis aux enchères le 15 novembre par l’étude Néret-Minet. “Cette bouche entr’ouverte [...] cette attitude renversée, ce cou gonflé, ce mélange voluptueux de peine et de plaisir font baisser les yeux et rougir toutes les honnêtes femmes de cet endroit”, écrivait Diderot dans une critique suivant sa visite du Salon de 1765.

Tableaux et sculptures modernes
Barques à Fécamp (600 000 francs, Drouot, 22 novembre, étude Laurin, Guilloux, Buffetaud) a été peint par Jean-Baptiste Corot, en 1872, trois ans avant sa mort. C’est une toile réalisée en plein air, pendant l’été, sur l’une de ces plages normandes qu’il affectionnait. “C’est un tableau simple et fort, presque abstrait, qui annonce Cézanne et des œuvres comme Les barques à Étretat de Braque”, indique l’expert Frédérick Chanoit.

Autre bord de mer avec un lumineux Dufy, Régates à Deauville (800 000-1 million de francs, Drouot, 14 décembre, étude Briest), peint vers 1935. Albert Marquet s’est, lui, intéressé aux Quais de Rouen (600-700 000 francs, Drouot, 20 décembre, étude Piasa), qu’il représente dans des tons gris et blancs. “Cette toile, exécutée en 1912 – une bonne année pour Marquet – provient d’une collection parisienne où elle a été conservée pendant deux générations. Elle a été exposée en 1948 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris”, précise l’expert François Lorenceau.

Vase de fleurs, roses et nigelles (500-600 000 francs, Drouot, 22 novembre, étude Laurin, Guilloux, Buffetaud), une huile sur toile de Fantin–Latour datant de 1883, sera reproduite dans le catalogue raisonné de ses œuvres, en préparation par la galerie Brame et Lorenceau. “Quand Fantin-Latour peint une fleur, c’est celle-ci et pas une autre. On pourrait croire que le peintre veut réaliser le portrait de cette fleur”, remarque Frédérick Chanoit, en paraphrasant Jacques-Émile Blanche.

Parmi la sélection de sculptures qui seront exposées avenue Montaigne, une série complète de 36 bustes d’Honoré Daumier représente des personnalités dites du Juste-Milieu, parlementaires et célébrités (600-800 000 francs, 20 décembre, étude Piasa), dont les originaux sont actuellement exposés au Grand Palais dans la rétrospective Daumier. Ils sont la propriété du Musée d’Orsay qui les a acquis en 1980. Ces bronzes ont été réalisés par l’éditeur Maurice Le Garrec à partir de terres crues originales coloriées appartenant aux héritiers de Philippon, directeur du journal La Caricature. “Il a été réalisé vingt-cinq exemplaires en bronze de ces 36 bustes dans le courant des années cinquante. Il s’agit, selon nous, de la seule édition complète en mains privées”, explique l’expert, Mme Maréchaux-Laurentin. À noter aussi, La Valse de Camille Claudel (700-900 000 francs, 14 décembre, étude Piasa), un bronze à patine vert médaille exécuté par le fondeur Rocher, signé et numéroté 7/8.

Sculptures et tableaux contemporains
L’étude Le Roux, Morel dispersera le 1er décembre des œuvres appartenant à l’industriel et collectionneur Gildas Fardel. Parmi les pièces majeures, une Composition, 81 x 65 cm, de Pierre Soulages, datant de 1950 – une de ses périodes les plus riches –, qui est reproduite dans le catalogue raisonné établi par Pierre Encrevé (500-600 000 francs). Une rare sculpture de Julio González, Maternité au rectangle (800 000-1 million de francs, en fer forgé sur socle en pierre ciselé, devrait atteindre ou dépasser son estimation si l’on en juge par les prix extraordinaires obtenus par les González de la Fondation Hans Hartung dispersés le 30 juin chez Christie’s à Londres : la plupart des pièces avaient plus que décuplé leurs estimations, telle Tête de femme II qui a été adjugée plus de 2 millions de livres sterling.

La disparition récente de Bernard Buffet devrait influer sur la cote des toiles qui seront mises en vente cet automne, comme Montmartre, le Sacré-Cœur et la place du Tertre (1-1,5 million de francs, Drouot, 25 novembre, étude Blanchet, Joron-Derem), une huile signée et datée de 1956. L’étude Briest proposera le 1er décembre plusieurs Basquiat, dont Flexicon de 1986 (1,7-1,9 million de francs). Quelque jours plus tôt, le 23 novembre, l’étude Tajan dispersera, rue des Mathurins, un ensemble d’art abstrait et contemporain comprenant plusieurs œuvres d’Arman et une toile de Zao Wou-ki (700-900 000 francs).

Livres, manuscrits et autographes
N’ayant pas été réélu aux législatives de 1824, le général La Fayette partit où il fut reçu triomphalement par le peuple américain qui organisa à son attention une tournée à travers le pays. À son retour, le cartographe Gaston Frestel exécuta à la plume et à l’aquarelle huit grandes cartes réunies en un atlas, sur lesquelles est retracé l’itinéraire suivi par le marquis aux États-Unis (400-500 000 francs, Drouot, 3 décembre, étude Mathias). “Cette pièce inconnue, qui n’a jamais été exposée, provient des descendants du général. Elle devrait intéresser de grands musées américains”, observe l’expert Christian Galantaris. De son côté, l’étude Laurin, Guilloux, Buffetaud dispersera le 24 novembre des autographes de Chopin, dont une lettre du 2 décembre 1844 adressée à George Sand au château de Nohant (100-150 000 francs). On remarquera également un manuscrit musical autographe complet de deux chants religieux de Mozart, O Gottes Lamm et Als aus Egypten (300-400 000 francs).

Mobilier classique et Art déco
L’ébéniste Joseph Gegenbach, dit Canabas, s’installa faubourg Saint-Antoine après avoir travaillé pour Jean-François Oeben et Pierre Migeon. On lui doit des meubles de salle à manger légers et faciles à transporter, utilisés au cours des repas en l’absence de domestique, tels les “rafraîchissoirs” ou les “serviteurs muets”. Il réalisa aussi quelques meubles de grandes dimensions, comme le bureau à cylindre de la fin de l’époque Louis XV en acajou et placage d’acajou, mis aux enchères le 9 décembre par l’étude Poulain Le Fur (800 000-1 million de francs), en même temps qu’une commode d’époque Louis XV de forme galbée, en placage de palissandre, estampillée Dubois (1,5-2 millions de francs).

Le 20 décembre, l’étude Piasa proposera une paire de paravents à trois feuilles en moquette de la Savonnerie, d’époque Régence, d’après François Desportes (1,5-2 millions de francs). Un exemplaire de ces paravents est conservé au Musée Nissim de Camondo, à Paris. Nous présenterons plus longuement dans un prochain numéro les ventes de prestige organisées à l’Espace Tajan, et en particulier la vente d’objets d’art et d’ameublement du 10 décembre. Parmi les objets de la collection Marcel Puech dispersée le 8 novembre à l’Espace Tajan, figurent quelques meubles et objets d’art Haute époque, dont un lustre au Christ bénissant, travail français vers 1500 (600-800 000 francs), et une suite de six chaises à bras en bois de noyer du XVIIe siècle (300-350 000 francs). Dans sa vente Haute époque du 29 novembre, à l’Espace Tajan, Bruno Perrier présentera une Vierge à l’Enfant en ivoire du XVIe siècle, inspirée des dessins de statues antiques, ainsi qu’un coffre en noyer datant de 1500-1515 (120-150 000 francs). Des vacations de meubles Art déco de l’automne, on retiendra particulièrement celles des 24, 25 et 26 novembre conduites par l’étude Millon et Robert. Parmi les plus belles pièces se distinguent un bureau en chêne de Pierre Legrain, accompagné de son fauteuil d’inspiration cubisante, provenant de l’ancienne collection Roger Martin du Gard et Maria de Beyrie (3,5-4 millions de francs), et une cave à liqueur “Nicolle” de Ruhlmann en ébène de Macassar (1,3-1,5 million de francs).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : De Beert à Legrain, les grandes ventes d’automne

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