Ingres en famille

A la découverte de ses élèves à Montauban

Le Journal des Arts

Le 5 novembre 1999 - 674 mots

Entre 1825 et 1834, 279 élèves se sont succédé dans l’atelier d’Ingres ; la plupart ont été oubliés. Georges Vigne, conservateur du Musée Ingres à Montauban, les a identifiés et présente une soixantaine de ces artistes qui ont perpétué pendant tout le XIXe siècle la leçon ingresque, avec plus ou moins de fidélité. Conservés dans la pénombre d’une petite église ou dans les réserves d’un musée, nombre des tableaux exposés sont inédits et laissent augurer d’autres découvertes.

MONTAUBAN - Un tableau de Jules Ziegler constitue, à sa façon, une belle métaphore d’Ingres face à son atelier : il représente le jeune Giotto, simplement vêtu d’une peau de bête, étudiant sous l’œil attentif de son maître Cimabue. Ingres, qui contait volontiers l’histoire édifiante du peintre reconnu découvrant les talents d’un jeune berger, aurait sans doute aimé former un pareil talent. Malheureusement, le génie, c’était lui. Et il est possible que ses élèves aient été étouffés, malgré l’ouverture d’esprit dont Ingres semble avoir témoigné à leur endroit. Certains, qui, comme Amaury-Duval et les frères Flandrin, ont vu la lumière de trop près, en sont restés éblouis. Si l’atelier n’est resté ouvert que neuf années, de 1825 à 1834, date du départ d’Ingres pour l’Académie de France à Rome, 279 élèves y ont été formés, et son existence aura eu des résonances importantes jusque dans son propre travail, puisque les Balze, Desgoffe, Pïchon et Cambon participeront largement (trop ?) aux œuvres ultimes du maître. Son enseignement a eu d’autant plus de succès que le passage par un atelier privé constituait alors un préalable indispensable à l’entrée à l’École des beaux-arts.

De cette pléthore d’élèves, l’Histoire a retenu les noms d’Amaury-Duval, auteur par ailleurs d’un ouvrage capital, L’Atelier d’Ingres, des frères Flandrin ou de Chassériau. Elle a en revanche passé par pertes et profits tous ces petits maîtres dont les œuvres dorment dans les réserves des musées ou dans quelque chapelle humide d’une église de province. Oubliée ou dépréciée, cette peinture n’en constitue pas moins un pan important, au moins en quantité, de l’art du XIXe siècle. Spécialiste d’Ingres, Georges Vigne est parti à leur recherche. Et de cette investigation, dont l’exposition de Montauban et le catalogue, accompagné d’un dictionnaire, montrent les fruits, ont émergé quelques personnalités intéressantes. “Les Suisses évidemment, Menn et Lugardon, qui sont assez méprisés, même dans leur pays. Il y a aussi les éternels seconds couteaux, Ziegler, Mottez, Chenavard...”

“Si la peinture religieuse est le fonds de commerce des élèves d’Ingres”, et notamment la peinture murale qu’Ingres, à l’exception de L’Âge d’or, n’a pas pratiquée, elle est loin de constituer l’essentiel de cette abondante production, dans laquelle on compte aussi bien des portraits que des scènes de genre, de la peinture d’histoire, souvent anecdotique, que des paysages… Cette diversité soulignée par l’exposition, dégage ses disciples d’une association trop systématique à un art religieux enferré dans des schémas obsolètes. Des œuvres énigmatiques comme l’Annonciation, aux coloris dignes d’un papier peint, due à un dénommé Poppleton, ou la figure du Printemps de Patry, dont les teintes sourdes évoquent plutôt un monde en décomposition, suffisent à démontrer que les élèves d’Ingres, “capables du meilleur comme du pire”, ne forment pas l’escadre uniforme de “petits soldats”, fidèles imitateurs et défenseurs de ses choix esthétiques, qu’on a voulu y voir.

Restait à organiser la présentation des soixante artistes et de la centaine d’œuvres retenus. “L’exposition est éclatée à l’intérieur du musée, car on ne peut pas séparer Ingres de ses élèves, explique le conservateur. Les œuvres sont juxtaposées selon des harmonies de style, de composition, de thème. On a essayé de trouver les tableaux qui vont ensemble.” D’autres expositions prendront bientôt le relais de celle-ci et affineront ce premier tableau de l’Ingrisme. “C’est le début d’une aventure...”

LES ÉLÈVES D’INGRES

jusqu’au 2 janvier, Musée Ingres, 19 rue de l’Hôtel de Ville, 82000 Montauban, tél. 05 63 22 12 92, tlj sauf lundi 10h-12h et 14h-18h. Catalogue, contenant un dictionnaire des 279 élèves recensés, 208 p., 210 F. ISBN 2-901405-38-X. Puis, Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon, 29 janvier-8 mai.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : Ingres en famille

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