Restauration

Restauration inachevée ?

Le parement du Palais Farnèse aurait dû être masqué

Par Marconi Paolo · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 1999 - 688 mots

Achevée en juin, la restauration du palais Farnèse à Rome avait révélé d’inattendus motifs, plus ou moins géométriques, sur le parement en briques de la façade (lire le JdA n° 85, 11 juin). Pour Paolo Marconi, professeur à l’Université d’architecture de Rome, ces motifs n’ont pas été conçus pour être vus et ne montrent qu’une chose : la restauration de la façade n’est pas terminée.

ROME - Malgré sa renommée, peu de personnes ont remarqué jusqu’à présent que le palais Fanèse n’était pas terminé, qu’il s’agisse de l’imposant soubassement ou du parement en briques. En effet, celui-ci, d’une grande finesse d’exécution, présente d’étranges “figures” dues à la concentration à certains endroits de briques plus cuites (rougeâtres) sur un fond général dans les tons jaune clair. Ces briques ne sont pas disposées au hasard mais forment, surtout dans la partie gauche de la façade, des dessins réguliers en forme de losanges. Les motifs ne peuvent absolument pas être fortuits, ni avoir été réalisés par plusieurs personnes, car les briques qui les composent ont été mises en place au cours de l’installation d’une seule rangée.

Outre ces losanges, disposés sans aucune symétrie dans les panneaux séparant chaque fenêtre, on peut également voir des lys Farnèse (impossibles à identifier de loin) et des colonnes verticales de briques rougeâtres. En fait, le nettoyage de la façade a fait apparaître un ensemble de dessins, géométriques ou non, plus symétriques et précis à gauche, et beaucoup moins sur la droite, comme si l’équipe de maçons avait changé. Et peut-être en a-t-il été ainsi.

À ce stade, plusieurs questions se posent : 1/ Que signifient ces losanges ? 2/ Les retrouve-t-on ailleurs dans l’architecture plus ou moins contemporaine, ou n’apparaissent-ils que sur la façade du palais Farnèse ? 3/ Mais avant tout, ces dessins, répartis fortuitement sur la façade, étaient-ils destinés à être vus ou devaient-ils être recouverts par une couche de crépi ou d’enduit ? Et comment expliquer une “décoration” aussi étrange, si elle était destinée à être recouverte par la suite ? Par conséquent, et cette question concerne cette fois-ci la restauration actuelle, fallait-il éliminer ou garder cet enduit qui masquait les motifs décoratifs depuis plusieurs décennies (et peut-être plusieurs siècles) ? Nous évoquerons ce point en conclusion.

Revenons à la troisième question. Comme les dessins ont été découverts après le nettoyage de la façade, on peut reprendre l’hypothèse avancée depuis longtemps par Antonio Forcellino, selon laquelle les parements en briques bien cuites auraient été utilisés, entre le XVe et le XVIe siècle, comme le meilleur support pour les stucs destinés à imiter des revêtements nobles, en marbre ou en pierre. La récente découverte de stucs sur briques cuites dans le Palais des conservateurs, au Capitole, confirmerait cette supposition.

Comme à la Villa Giulia
En ce qui concerne la deuxième question, les appareillages de briques du palais Farnèse ont aussi été utilisés à la Villa Giulia, où ils reproduisent également des losanges rougeâtres sur fond jaune, répartis de façon fortuite et apparemment indépendants de la structure architectonique. Mais où trouve-t-on d’autres “décorations” similaires ? Pier Nicola Pagliara a dressé une longue liste de bâtiments situés dans le Piémont, en Lombardie et en Vénétie, où elles semblent arriver, entre le XIVe et XVe siècle, de l’aire flamande, en tout cas gothique, et on en voit aussi parfois sur les étables de campagne, comme si elles étaient l’insigne initiatique de quelque “compagnon du devoir” ou d’un contremaître, mais de méchante humeur. Ceci pourrait être la réponse à la première question. En conclusion, si le palais Farnèse nous adresse aujourd’hui un clin d’œil avec ses curieux losanges, comme l’ont peut-être fait entre eux les maçons en les réalisant, cela signifie que la restauration n’est pas terminée sur un palais lui-même inachevé. Une restauration soucieuse de la véritable signification architectonique aurait dû beaucoup hésiter avant d’enlever cette couche de crépi et, dans tous les cas, aurait dû songer à la refaire. Espérons que la France terminera la restauration actuelle pendant le Jubilé, en recouvrant d’un beau crépi ces jeux destinés, dès leur conception, à l’oubli, afin de rendre au palais Farnèse une dignité qui, sinon, serait perdue.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°93 du 19 novembre 1999, avec le titre suivant : Restauration inachevée ?

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