Entretien avec Denis Gardarin, galeriste à New York

« Un flottement »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2008 - 735 mots

Après avoir été directeur associé de la galerie Brent Sikkema, à New York, Denis Gardarin est depuis 2003 le directeur de la galerie Sean Kelly.

Quel est votre bilan de la foire de Bâle ?
Bâle n’est pas la foire où l’on fait le plus d’argent, mais celle où l’on rencontre le plus de gens. Ceci étant dit, cette année était fantastique. On a vendu pour 65-70 % à des Européens. J’ai même été surpris de voir beaucoup d’Italiens passer à l’acte, de manière très franche. Seule 50 % de notre clientèle américaine était là. Ceux qui sont venus ne souffrent pas forcément de la morosité ambiante, mais je sens un basculement au profit de l’Europe, un changement de polarité uniquement lié à la fluctuation euro-dollar. D’une certaine façon, les Européens sont devenus plus « américains », dans le sens qu’ils sont plus optimistes dans leur manière d’acheter, plus audacieux dans les sommes dépensées.

La situation aux États-Unis est-elle critique malgré l’ébullition des ventes publiques du mois de mai ?
Il y a toujours cette impression de flottement qu’on ressentait déjà durant l’Armory Show à New York. Il y a aussi un attentisme préélectoral, une réelle inquiétude. Je ne sais pas si celle-ci se traduit par une prise de conscience politique, mais elle s’exprime définitivement par un ralentissement dans la consommation. La population aisée l’est toujours, or elle est moins présente. Tout le monde imagine le pire, mais le pire ne vient pas. Mais si crise il y a, elle ne nous atteindra pas car nous avons un goût relativement classique, hors mode. Nos artistes ne sont pas dans la spéculation. Les prix de James Casebere n’ont pas triplé en un an. En temps de crise, on regarde les artistes solides comme Joseph Kosuth. Ses A propos valent 35 000 dollars, soit le prix de certains jeunes artistes. Qui va survivre, Kosuth qui est dans l’histoire ou un jeune artiste sur lequel certains auront spéculé ? Le jugement se fera de manière naturelle.

Votre galerie est orientée plutôt sur l’art conceptuel et se situe à Chelsea sur la 29e rue, assez excentrée. Comment peut-on continuer à exister aux États-Unis en faisant des choix plutôt radicaux ?
Le paysage des collectionneurs et des institutions est quand même varié aux États-Unis. Il existe encore une clientèle plus rivée sur l’Histoire que sur la mode. Sean Kelly a délibérément choisi d’être sur la 29e rue. La galerie se présente comme une « destination », là où les gens vont en sachant ce qu’ils vont y trouver.

Vous représentez la succession de Robert Mapplethorpe. Pourquoi son marché a-t-il tardé à décoller ?
Les œuvres de Mapplethorpe sont aiguillées dans les ventes de photographie et non d’art contemporain, sans doute en raison du format, plus petit que celui d’un Gursky. Ceci étant dit, sa photographie de Warhol qui a fait le prix record de 643 200 dollars a été adjugée à un acheteur d’art contemporain. Ses prix ne cessent d’augmenter. En 2004, ses Calla Lily valaient 55 000 dollars. Maintenant, il faut compter autour de 150 000 dollars. La progression est liée au fait que certains artistes, comme Cindy Sherman, David Hockney, Vik Muniz ou Hedi Slimane l’ont intégré dans des expositions. Son travail présente plusieurs facettes et peut attirer des personnes très différentes, intéressées soit par ses compositions très sexuelles, ou d’autres relativement décoratives.

La galerie s’occupe aussi de la succession du designer Poul Kjaerholm. Pourquoi une galerie d’art contemporain s’occupe-t-elle de design historique ?
Nos collectionneurs aiment mettre en place un vrai environnement. Sean Kelly est aussi très diversifié dans ses passions et achète depuis dix ans Kjaerholm. Les meubles sont pour lui aussi importants que des œuvres d’art. Il n’est pas le seul, beaucoup de galeristes comme Matthew Marks ou Ileana Sonnabend ont collectionné des meubles.

Pourquoi ne retournez-vous pas cette année à la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) ?
Lors de notre participation en octobre dernier, nous avons eu l’impression que les Français célébraient les galeries françaises, et non pas celles qui offraient un contexte international à la FIAC. Nous n’avons eu que deux contacts avec des musées. Comparativement, sur l’ARCO à Madrid, les institutions espagnoles achètent, et pas uniquement auprès des galeries espagnoles. Les contacts sont beaucoup plus ouverts aux États-Unis, alors qu’en France, les gens ne se présentent pas. Étrangement, à la foire de Bâle, les Français ont été plus entreprenants. Là au moins ils nous ont parlé !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Entretien avec Denis Gardarin, galeriste à New York

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