Le choix du conservateur : Françoise Magny

Le Journal des Arts

Le 3 décembre 1999 - 628 mots

Une fois par mois, nous invitons un conservateur à choisir une œuvre de son musée qu’il souhaite mettre en avant et faire mieux connaître du public, Françoise Magny, conservateur en chef du Musée de Cambrai, a sélectionné un Saint Sébastien en albâtre du début du XVIIe siècle.

Ville évêché dès l’époque mérovingienne (fin du VIe siècle), Cambrai possède au XIIIe siècle une puissante cathédrale gothique dont la magnificence égale celle de Paris ou de Reims : La merveille des Pays-Bas. Au XVIIe siècle, plus que l’impressionnant édifice de 135 m de long et 35 m de hauteur sous voûte, c’est l’abondance du décor que soulignent les guides des voyageurs, et en particulier la centaine de sculptures en albâtre qui ornent les piliers de la nef ou les retables et clôtures des chapelles. Presque toutes ces sculptures ont disparu avec la cathédrale, vendue comme bien national et démolie pierre à pierre. Treize sont au Musée de Cambrai, vestiges des saisies révolutionnaires. Le Saint Sébastien est sans contexte la pièce maîtresse de cet ensemble.

Cette sculpture maniériste (vers 1600) grandeur nature était accrochée à l’un des piliers de la nef de la cathédrale et avait été commandée par le chanoine Sébastien Briquet pour orner son tombeau, exécuté, comme il était d’usage très fréquemment, de son vivant. Cette commande s’inscrit dans un grand chantier d’embellissement de la cathédrale intervenu avec l’avènement des archiducs Albert et Isabelle en 1598, qui ouvre une période de stabilité politique propice à la restauration du catholicisme. Les commandes émanent dans leur grande majorité des chanoines.

Ce Saint Sébastien est un exemple caractéristique de la sculpture maniériste des années 1600. La souffrance du martyr est transcendée par l’extase mystique. Une dévotion ardente illumine le visage et guide le regard vers les cieux. La tête, inclinée, est légèrement renversée, le cou s’enfle, les lèvres écartées laissent apercevoir la langue, les pupilles se révulsent. L’exaltation de la prière se concrétise dans la tension verticale du corps étiré par les bras levés, soulevant la poitrine. Le traitement lyrique de l’anatomie, la position serpentine du corps sont autant de références à Michel-Ange dont le Maniérisme s’est nourri. À l’âge baroque, l’Église utilisera de plus en plus ce type d’image anthropomorphique et puissante dont le pouvoir doit s’imposer aux fidèles. C’est l’époque où l’iconographie chrétienne, s’appuyant sur les préceptes de la Contre-Réforme, se précise. L’image des saints est totalement renouvelée. Le martyr devient un exemple pour les Chrétiens.

À la fin du XIXe siècle, ce chef-d’œuvre avait été attribué au sculpteur cambrésien le plus célèbre de l’époque, Hubert Hanicq. Cependant, on ne peut rejeter l’hypothèse d’une commande à un artiste de renom originaire d’Anvers ou de Malines, d’autant que Sébastien Briquet s’était adressé à Rubens pour le tableau représentant la mise au tombeau qu’il avait offert au couvent des Capucins.

Nous ne connaissons pas l’aspect original de ce Saint Sébastien qui a subi à deux reprises des dommages irréparables : à la Révolution, au moment où il est arraché du pilier de la nef de la cathédrale, et pendant la Seconde Guerre mondiale où il demeure plusieurs années, brisé, gisant dans les décombres du musée bombardé. En 1993, à l’occasion de la restructuration du musée, cette sculpture a fait l’objet d’une restauration fondamentale. Le travail très minutieux d’observation et d’analyse des restaurateurs a permis de déceler les stratégies des deux précédentes restaurations. Pour que les deux bras se rejoignent au-dessus de la tête, l’axe de ceux-ci avait été totalement réinventé grâce à l’introduction de morceaux d’albâtre retaillés et de reconstitution en plâtre. Un bras a retrouvé sa forme et son axe d’origine commandé par la position de l’épaule. À droite, il ne reste qu’une partie de l’avant-bras et la main qu’il n’a pas été possible de repositionner, dans le vide, faute d’éléments.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°94 du 3 décembre 1999, avec le titre suivant : Le choix du conservateur : Françoise Magny

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