L’actualité vue par Benoît Devarrieux

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Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 3 décembre 1999 - 1027 mots

Coprésident de l’agence de publicité Devarrieux Villaret et collectionneur, Benoît Devarrieux commente l’actualité.

La défense de l’exception culturelle a été réaffirmée par le gouvernement français comme une de ses priorités lors de la réunion de l’OMC, à Seattle. La culture doit-elle être tenue à l’écart des lois du marché ?
Le problème s’envisage différemment selon les domaines. La protection des programmes de télévision est une responsabilité politique. Il est nécessaire, à défaut de contrôler, de regarder et d’être attentif à cet outil de société. La perspective d’une télévision de séries américaines est parfaitement envisageable, la puissance du marketing développé par leurs producteurs le permet. Le service public existe, et il est de la responsabilité de l’État d’être vigilant face à l’idéologie mondiale dominante. À l’inverse, “protéger l’art” m’apparaît comme une proposition antinomique. Il ne faut pas non plus être naïf ; des effets de levier et de masse, comparables à ceux exercés sur la télévision, ont existé sur le marché de l’art. L’exposition actuelle du Whitney Museum, à New York, sur l’art américain des cinquante dernières années souligne désagréablement ce point en rendant visible une stratégie de puissance : l’art est un outil de domination claire et les Américains s’en sont servi. La France a protégé les artistes hexagonaux, et l’émergence d’un marché a peut-être été empêchée par les subventions. Mais, hormis les dérapages vers une avant-garde officielle, les artistes français ont pu travailler à l’abri de la précipitation. Ils ont aujourd’hui une maturité, une fraîcheur et un poids plus important que celui accordé par le marché. Soutenir leur travail à l’étranger s’impose, mais la reconnaissance internationale se fera naturellement, l’intérêt actuel le prouve.

Paris Photo s’est tenu cette année pendant que des records de prix étaient enregistrés sur le marché de la photographie. Quel regard portez-vous sur cet engouement ?
L’envolée actuelle du marché incite plus particulièrement à une réflexion sur le temps. Roger Therond a acquis de magnifiques images de Gustave Le Gray à une époque où celui était relativement délaissé, et aujourd’hui elles battent des records. L’exposition de sa collection, à la Maison européenne de la photographie, est une belle leçon de lenteur et de passion, à opposer au phénomène de précipitation actuel. La situation me semble en contradiction avec le temps dont une œuvre a besoin pour se faire, pour exister, et d’une certaine manière pour être collectionnée. Le fossé entre le marché et le travail des artistes n’est pas de l’ordre de la spéculation, il est engendré par un problème d’accélération. L’art anglais a émergé de façon quasi immédiate sur le marché international grâce à l’action décisive, et somme toute brillante, de Charles Saatchi. À terme, cette rapidité pourrait s’avérer néfaste pour les artistes. La circulation est accélérée, mais elle ne doit pas être une fin en soi. Ce n’est pas ainsi que l’art prend de la valeur, il s’enrichit avec de la lenteur.

Après le rachat de Christie’s par François Pinault, c’est au tour de Bernard Arnault et de LVMH d’entrer dans le marché de l’art en prenant le contrôle de Phillips.
Ces deux sociétés se font remarquer par leurs prises de capitaux dans le marché de l’art, mais aussi par leurs investissements sur l’Internet. Au-delà des stratégies et de l’alliance probable entre les deux domaines, leur argent est placé dans ce qui va le plus vite et, parallèlement, dans le plus lent. Plus qu’un apparent paradoxe, c’est la compréhension du nouveau paradigme : le temps est une matière et on fait de l’argent avec ! Passée la course entre deux hommes d’affaires, je trouve cela habile et inattendu. Mais que ces groupes soient français ne change rien, l’industrie du luxe a été un des premiers domaines à comprendre la mondialisation ; on n’a pas à être pour ou contre, c’est de facto.

La réouverture du Musée de la publicité ?
La société fait visiter les traces de son histoire et, en ce sens, il faut toujours saluer ces efforts pédagogiques. Mais la mémoire vivante et dynamique de la publicité reste celle entretenue par le Club des directeurs artistiques, à l’initiative des créatifs eux-mêmes. C’est la seule organisation qui soit représentative de la création publicitaire depuis plus de vingt-cinq ans et, bien entendu, elle a été tenue à l’écart de l’élaboration du projet et de sa gestion future. Dommage !

Quel bilan tirez-vous des “Champs de la Sculpture” ?
Il ne faut pas bouder son plaisir en ne considérant que la paternité du projet. Que Tiberi blanchisse son image avec l’art contemporain, pourquoi pas ? C’est une des fonctions séculaires de l’art. Le choix des artistes et des œuvres était courageux, ouvert, et le travail de commissariat relativement exemplaire. Il est difficile de vérifier le chiffre de cinq millions de visiteurs annoncé par la Mairie de Paris, mais le succès semble réel. La manifestation est l’occasion pour des gens non avertis de fréquenter des œuvres contemporaines, sans nécessairement avoir à juger ou prendre partie. Sans parler d’exposition ou de projet, l’important est dans cette mise à disposition, et les Champs-Elysées sont un cadre favorable pour ce type d’initiative. À l’inverse du Pont des Arts et Ousmane Sow, ou plus récemment de Magdalena Abakanowicz et Beverly Pepper au Palais Royal, le lieu est plus ouvert, il n’impose rien.

Quelles autres expositions vous ont marqué ?
La rétrospective Anni Albers au Musée des arts décoratifs m’a ému et étonné. Elle montre l’évolution d’un travail scrupuleux, entamé sur les bases théoriques et un peu dogmatiques du Bauhaus, vers une plus grande liberté, marquée par l’élégance. Ses morceaux de tissage sont des œuvres à part entière et dévoilent une conversation avec son mari, Josef Albers. L’ensemble contraste avec l’exposition de Royère pour laquelle j’étais venu à l’origine. Ses intérieurs et ses meubles étaient pleins de qualités pour les salons des industriels bourgeois de l’époque, mais ce bric-à-brac tonitruant des années cinquante, bruyamment sponsorisé, est au final assez vulgaire.

La disparition de Paul Bowles ?
C’est la mort d’un mythe, celui de quelqu’un qu’on visite. Finalement, c’est une adresse que l’on va perdre, avec tout ce que cela implique de conversations et d’échanges. Le mouvement “Beat” a déjà fait l’objet d’une rétrospective à New York ; là aussi, ça va vite.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°94 du 3 décembre 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Benoît Devarrieux

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