Un collectionneur exigeant

Le Journal des Arts

Le 3 décembre 1999 - 677 mots

Grâce aux soixante œuvres achetées en 1997 au peintre et calligraphe chinois C.C. Wang (Wang Chi-Chien), le Metropolitan Museum of Art, à New York, possède la collection d’œuvres chinoises la plus riche au monde, en dehors de la Chine. Elles sont aujourd’hui exposées dans ses nouvelles galeries : des paysages des époques Song et Yuan, des pièces de la collection impériale Qing, des peintures de cour de l’époque Song et de maîtres du XVIIe siècle.

“Il est l’une des principales sources qui ont permis à des chefs-d’œuvre de la Chine ancienne d’entrer dans notre pays, particulièrement ceux de la tradition des peintres-lettrés, reconnaît Maxwell K. Hearn, responsable de l’accrochage de la collection C.C. Wang au Metropolitan. D’un goût très sûr, il a toujours su reconnaître la qualité d’une œuvre et s’y arrêter. Si bien qu’à sa collection d’œuvres de la tradition des peintres-lettrés, il a ajouté de grands paysages de la dynastie Song et un riche ensemble de peintures de personnages, commençant avec Li Gong Lin, l’artiste qui a véritablement été à l’origine de la tradition du peintre-lettré au XIe siècle. Il a aussi acquis des œuvres du XVIIe siècle, celles des orthodoxes, qui étudiaient le passé et créaient un art respectueux de la tradition, aussi bien que celles de leurs opposants, les individualistes, qui avaient moins accès aux modèles anciens mais essayaient de trouver leur inspiration en eux-mêmes et dans les paysages.” L’afflux, dans les années cinquante, d’un grand nombre de peintures chinoises sur le marché est dû à un “accident de l’histoire”, remarque le collectionneur, se référant à la prise du pouvoir par les communistes en 1949 et à la fuite des classes dominantes, dont beaucoup ont dû vendre leurs biens. “Présent à ce moment-là et conscient de la valeur de ces œuvres, il les a achetées”, explique Maxwell Hearn.

C.C. Wang a commencé à peindre bien avant de devenir collectionneur. À  30 ans, il vend ses copies de maîtres anciens chez un marchand de fournitures pour artistes : “J’y ai peu à peu acquis une certaine notoriété, modeste mais suffisante pour me permettre de vivre. C’est avec cet argent que j’ai pu partir en Amérique”. En 1947, à l’âge de 40 ans, il s’embarque pour New York. “Déjà, en Chine, j’avais commencé à monter une collection. Nous n’avions pas de bons musées et les riches ne voulaient pas montrer aux pauvres artistes les œuvres qu’ils possédaient. Mais en arrivant ici, j’ai pu acquérir par correspondance des peintures dont je connaissais déjà l’existence. J’en ai acheté ainsi huit à dix par an. Si les marchands de New York et de Londres vendaient des objets chinois, ils ne proposaient pas de peintures. Je m’y connaissais un peu mieux que l’acheteur moyen”, déclare modestement C.C. Wang. Très vite, il se familiarise avec les peintures chinoises du Metropolitan Museum, qui le navrent : “Beaucoup étaient mauvaises et d’autres étaient des faux. Les conservateurs avaient commis d’énormes erreurs dans leurs acquisitions, dont le montant s’élevait peut-être à plus d’un demi-million de dollars”. Puis il fait la connaissance de Wen Fong, consultant à la direction du département d’Art asiatique du musée et professeur à Princeton. Au début des années soixante-dix, le Met décide de créer des galeries permanentes d’art chinois et d’améliorer la collection. En 1973, C.C. Wang cède au musée vingt-cinq peintures de sa collection choisies par Wen Fong. La même année, il en vend trente-sept chez Sotheby’s, pour la somme alors considérable de 1,2 million de dollars.

Les œuvres exposées sont entrées au Metropolitan en 1997. Ni le musée, ni le collectionneur n’ont révélé le montant de l’acquisition. C.C. Wang affirme que le Met les a achetées à un “prix d’ami”, pour une somme bien inférieure à leur valeur sur le marché, et avoue que “cela a représenté pour [lui] un gros sacrifice”. Aujourd’hui âgé de 92 ans, C.C. Wang pratique toujours la calligraphie. Bien qu’il n’en attende pas grand chose, il continue d’assister aux ventes aux enchères : “Parfois, je repère quelque chose d’extrêmement rare. Mais les choses ont changé. Il n’y a plus de bonnes peintures.”

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°94 du 3 décembre 1999, avec le titre suivant : Un collectionneur exigeant

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