Des expositions à la recherche du temps perdu

L’an 2000 suscite un regard sur la modernité et une méditation sur le temps ou l’utopie

Le Journal des Arts

Le 17 décembre 1999 - 1989 mots

Réflexion sur le temps, retour sur l’imaginaire utopique, regards sur un siècle de modernité, nombre d’expositions de l’année prochaine déclinent ces thèmes suggérés par le passage à l’an 2000, tandis que d’autres poursuivent la redécouverte des artistes du Grand Siècle ou le dévoilement de civilisations non-occidentales.

“Jour de fête”. Tel est le titre de la première exposition de l’an 2000 à Paris. Pour la réouverture du Centre Georges-Pompidou, neuf artistes, de Gilles Barbier à Xavier Veilhan, ont été invités à témoigner “de la vitalité et de la diversité de la scène artistique française”. On veut croire que ce titre emprunté à Jacques Tati est ironique, car l’état du monde au seuil de l’an 2000 n’invite guère aux réjouissances ; on chercherait même en vain les raisons d’une quelconque célébration, à moins d’être victime d’une idéologie du progrès dont notre siècle a démontré la nocivité. La seule question qui vaille finalement n’est-elle pas celle du temps, de sa perception, sa place dans l’imaginaire collectif ? Deux musées, refuges par définition contre le passage du temps, reformulent chacun à sa façon cette problématique. “L’empire du temps, mythes et créations”, au Louvre, interroge non seulement la découpe et la mesure du temps, mais aussi sa représentation depuis l’Antiquité. Pour mettre en images cette histoire mêlant l’Égypte ancienne à la France du Grand Siècle, le Louvre s’appuiera essentiellement sur ses collections, enrichissant cependant ce parcours de quelques œuvres contemporaines. Le Musée national d’art moderne ménagera de la même façon des rencontres entre les artistes de différentes époque pour la grande exposition marquant la réouverture du Centre : “Le Temps, vite”. À cette occasion, l’interdisciplinarité au cœur du projet fondateur de Beaubourg fera son retour, avec en prime des créations originales. “Le Temps, vite” se propose de rendre compte, à travers l’expérience renouvelée du temps, des bouleversements de la société contemporaine : accélération des vitesses, “instantanéification” radicale des communications, mesure de plus en plus fine du temps, allongement de la durée moyenne de la vie, autant de données nouvelles déstabilisant les relations des hommes, des sociétés, des créateurs avec le temps.

Le futur antérieur
L’an prochain, le temps se conjuguera également au futur antérieur, avec “Visions du futur, une histoire de peurs et des espoirs de l’humanité”, au Grand Palais, ou comment les hommes du passé imaginaient ce futur, devenu aujourd’hui notre présent (lire le JdA n° 86, 2 juillet 1999). Depuis qu’elle a fait son apparition sous la plume de Thomas More, en 1516, l’Utopie demeure une constituante fondamentale de ces visions du futur. Organisée par la Bibliothèque nationale de France et la New York Public Library, “Utopie-Utopia, la quête de la société idéale en Occident”, en montrant des œuvres représentatives de l’imaginaire utopique, restituera les paradoxes de cette aspiration à un monde meilleur, transformée en idéologie destructrice. Les architectes, de Claude-Nicolas Ledoux à Le Corbusier, n’ont pas été les derniers à nourrir des rêves d’avenir souvent radicaux : “À la recherche de la cité idéale”, à la Saline royale d’Arc-et-Senans bâtie par Ledoux, et “Les mondes inventés”, à Nantes, ville natale de Jules Verne, développeront la réflexion sur ces constructions idéales.

Un siècle de révolutions
Avec la fin du siècle, qui, rappelons-le, n’interviendra que le 31 décembre 2000, arrive le temps des bilans. Aucun n’avait connu de remises en cause aussi radicales des principes sur lesquels s’était bâtie toute une civilisation. Les artistes ont sans doute été les premiers à engager la subversion des codes et des traditions, emportant dans leur sillage les écrivains, les musiciens et les cinéastes.

Dans “Regards d’un siècle”, Beaubourg, dont la collection constitue déjà une anthologie de ces audaces, interrogera “l’image de soi, la perception des autres, le sentiment de l’histoire et la conscience du monde pour retrouver, derrière la représentation des faits, l’expression d’une subjectivité contemporaine”. Difficile de tourner la page du XXe siècle, sans revenir une fois encore sur la figure emblématique de la modernité : Picasso, envisagé, toujours à Beaubourg, dans sa condition de sculpteur, c’est-à-dire de modeleur et de constructeur – ces sculptures que Brassaï est venu photographier dans ses ateliers de Boisgeloup, de la rue La Boétie et de celle des Grands-Augustins. “Brassaï-Picasso”, à l’Hôtel Salé, racontera l’histoire de cette amitié, tandis que le Musée national d’art moderne offrira à l’auteur de Paris la nuit une rétrospective pour son centenaire. La richesse visuelle et sémantique de l’œuvre d’Alfred Hitchcock inspirera par ailleurs une exposition pionnière au Musée des beaux-arts de Montréal.

Le retour aux sources de la modernité s’amorce évidemment en 1900. L’Exposition universelle, dont Paris garde encore les stigmates avec le Grand et le Petit Palais, avait vu le succès de peintres comme Sorolla, Béraud ou Zorn : “1900, Art at the Crossroads”, à la Royal Academy of Arts de Londres, les confrontera aux artistes qui constituaient l’avant-garde d’alors, les Cézanne, Degas et autres Munch, sans oublier les figures émergentes, Picasso, Matisse, Kandinsky… Ce portrait en coupe du tournant du siècle néglige l’architecture et les arts décoratifs, domaines dans lesquels se joue pourtant une partie décisive dans l’avènement d’une esthétique moderne. “1900”, aux Galeries nationales du Grand Palais, intégrera cette dimension essentielle au temps de l’Art nouveau, mettant en évidence les tensions entre l’aspiration à un monde moderne et la nostalgie d’un passé révolu, rêvé comme un Âge d’or.

À cette époque, le courant symboliste restait vigoureux dans toute l’Europe. “Le symbolisme russe”, à Bordeaux, en dévoilera l’un des aspects les moins connus. Ce terreau a pourtant contribué à fertiliser l’art de Wassily Kandinsky. “Kandinsky et la Russie” (1898-1921), à la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny, brossera un portrait de l’avant-garde artistique dans ces temps troublés de l’Histoire, en confrontant une quarantaine de peintures et de dessins de Kandinsky à plus de quatre-vingts œuvres d’artistes russes des années 1900-1910. En écho, “L’autre moitié de l’Europe”, au Jeu de Paume, qui a fait appel à trois commissaires venus de Hongrie, de Russie et de Pologne, donnera un état des lieux de la création contemporaine derrière l’ancien Rideau de fer.

S’il est une notion que le XXe siècle a battu en brèche, c’est bien celle de la beauté. Postulant que la rupture de l’art moderne avec la beauté est surtout rhétorique, Avignon, capitale culturelle européenne de l’an 2000, décline en trois expositions thématiques, onze expositions personnelles d’artistes aussi différents que Philippe Starck ou Björk, et autant d’interventions dans la ville (Bertrand Lavier, Shirin Neshat, Nan Goldin…), la métamorphose du réel dans les mains des créateurs contemporains. Soixante-dix d’entre eux seront rassemblés autour de ce projet : des cinéastes (Takeshi Kitano…), des designers (Gaetano Pesce…), des plasticiens (James Turrel, Boltanski…) ou encore des musiciens (Arvo Pärt…).

Grand Siècle
La réflexion contemporaine sur la beauté semble bien éloignée des théories bâties à l’âge classique sur le Beau idéal. Giovan Pietro Bellori (1613-1689) en fut l’un des zélateurs les plus influents. Dans sa préface aux Vite de’pittori, scultori, architetti moderni (1672), il livrait un véritable manifeste : “Ainsi l’Idée constitue la perfection de la beauté naturelle et unit la vérité à la vraisemblance des choses qui sont sous nos yeux, et elle aspire toujours au mieux et au merveilleux, rivalisant et dépassant même la nature, car ses œuvres sont belles et accomplies à un point que la nature n’atteint jamais.” À Rome, au Palais des expositions, “Bellori et la Rome du Seicento” mettra en valeur les artistes défendus par le théoricien, de Raphaël à Poussin, en même temps qu’elle soulignera son influence sur ses contemporains. La Villa Médicis accompagnera cette résurrection de l’idéal classique avec “Peintres français à Rome autour de Bellori”.

“Ceux qui se glorifient de l’appellation de Naturalistes ne se forment dans l’esprit aucune Idée : ils copient les défauts des corps et s’accoutument à la laideur et aux erreurs, ne jurant eux aussi que par le modèle, comme si celui-ci était leur précepteur ; il suffit de leur enlever de devant les yeux leur modèle et tout leur art s’évanouit”, écrivait encore le théoricien italien. La personnalité du peintre français Sébastien Bourdon (1616-1674) serait de nature à faire mentir ces beaux discours. Comment classer en effet un artiste qui peignait aussi bien des “bambochades”, inspirées des Hollandais installés à Rome, que des tableaux religieux d’un Poussinisme fidèle, sans parler des portraits dignes d’un Van Dyck ou de la fougue toute baroque du Martyre de saint Pierre à Notre-Dame ? L’exposition du Musée Fabre, à Montpellier, embrassera toute cette diversité en une centaine de tableaux et une trentaine de dessins.

Contemporain de Bourdon, Eustache Le Sueur (1616-1655), formé dans l’atelier de Vouet, fut au contraire un fidèle de Raphaël. Sans doute cela explique-t-il la fortune critique qu’il a connue jusqu’au XIXe siècle, avant que le classicisme du XVIIe ne soit voué aux mêmes gémonies que l’académisme qu’il avait inspiré. La monographie d’Alain Mérot sur le peintre de la Vie de saint Bruno l’avait définitivement replacé parmi les plus grands artistes français de son siècle, aux côtés de Poussin, Vouet, Lorrain… Le Musée de Grenoble lui consacrera une rétrospective attendue. La figure de Lubin Baugin (1612-1663) est mieux connue depuis quelques années. Si ses natures mortes, comme Le Dessert de gaufrettes, sont certainement les plus célèbres du XVIIe siècle français, sa peinture religieuse n’a été reconnue que tardivement. Baptisé le “petit Guide” en référence à Guido Reni, il semble plus proche, par sa suavité, de l’école de Fontainebleau. Originaire de Pithiviers, il occupera les cimaises du Musée d’Orléans, qui, dans “Les maîtres retrouvés, chefs-d’œuvre du Grand Siècle”, évoquera par ailleurs en 150 peintures, 100 dessins et 20 sculptures, les principaux aspects de la création au XVIIe. Seront révélées à cette occasion d’importantes œuvres découvertes dans les réserves du musée, tel un cycle de peintures réalisé par Nicolas Prévost pour le château de Richelieu.

Un autre aspect fondamental de l’art classique sera dévoilé à Tours, puis à Toulouse : “Les peintres du Roi, morceaux de réception à l’Académie royale de peinture” présentera une large sélection parmi les 450 œuvres répertoriées, de Champaigne, La Fosse, Rigaud et Lemoyne à Nattier, Boucher, Greuze, Vigée-Lebrun ou Robert. Quelques-uns de ces artistes figureront sans doute dans “D’après l’antique”, au Louvre, qui envisagera la fascination exercée sur les artistes par les formes issues de l’Antiquité et le rôle des sculptures gréco-romaines dans l’enseignement des beaux-arts. L’exposition dépassera le cadre de l’époque classique, convoquant aussi bien Canova qu’Arman, Primatice que Klimt, Rubens que Magritte. “Cosme Tura” à Ferrare, “L’Albane” au Louvre, “Gerrit Dou” à Washington, mais aussi “Dans la lumière de Rubens” à Valenciennes, consacrées aux suiveurs du maître anversois, tels Caspar de Crayer ou Theodor van Thulden, promettent par ailleurs quelques passionnantes découvertes.

Regards vers l’ailleurs
Alors que le concours pour le Musée du quai Branly franchit une étape décisive avec la désignation de l’architecte lauréat, la nouvelle institution organisera sa première manifestation au Grand Palais : “Les Esprits, l’Or et le Chamane, Musée de l’Or de Colombie”. Après le “Brésil baroque”, le Petit Palais, à Paris, restera tourné vers l’Amérique latine, et plus particulièrement vers le Mexique. “Mexique éternel” tentera d’offrir un panorama des arts mexicains, du monde précolombien à l’époque contemporaine. “Art et civilisation des Papous”, organisée par le Musée des arts africains, océaniens, amérindiens de Marseille, à la Vieille Charité, mènera le visiteur en Papouasie-Nouvelle-Guinée, de la vallée du Sépik à la Nouvelle-Irlande, restituant à travers une sélection de masques, sculptures et autres représentations bi- et tridimensionnelles du monde réel et/ou mythique, l’incroyable diversité des formes mélanésiennes.

Présumant que “l’échange des cultures est au cœur des enjeux du troisième millénaire”, la Biennale d’art contemporain de Lyon, confiée à Jean-Hubert Martin, commissaire en 1989 des “Magiciens de la terre”, fera “le point sur l’œuvre d’art, processus et forme, tels que le pensent, pratiquent et produisent dans leurs différences toutes les aires culturelles, y compris occidentales”. Se déroulant elle aussi à un rythme biennal, la troisième édition de “Manifesta” investira, après Luxembourg, la capitale slovène, Ljubljana. Enfin, Hanovre accueillera la dernière exposition universelle du siècle, mais la première en Allemagne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Des expositions à la recherche du temps perdu

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