La Triennale Asie-Pacifique, un « modèle révolutionnaire »

Même critiquée, sa troisième édition reste un événement d’intérêt mondial

Le Journal des Arts

Le 17 décembre 1999 - 743 mots

L’« Asia-Pacific Triennial » (APT), organisée par la Queensland Art Gallery, jouit aujourd’hui d’une reconnaissance nationale et internationale, ce qui semblait inimaginable au moment de son lancement, en 1993. Pour sa troisième édition, elle réunit soixante-dix-sept artistes, indiens, pakistanais, sri-lankais, indonésiens, vietnamiens, néo-calédoniens, papous...

BRISBANE - Pour Caroline Turner, directrice adjointe de  la Queensland Art Gallery (QAG), la Triennale a d’abord été conçue comme “un voyage sans cartes”. Présenter l’art asiatique contemporain “était à l’époque une idée très nouvelle”. “La QAG est de vingt-cinq ans plus jeune que les musées des autres états australiens, et ces derniers possèdent d’importantes collections historiques. Du fait de sa situation géographique, l’institution s’est tournée vers l’Asie, ajoute Doug Hall, directeur du musée depuis 1987. Notre premier objectif a donc été de nous intéresser au XXe siècle”.

A l’époque, le modèle d’exposition choisi par la QAG avait été jugé aussi révolutionnaire que le sujet présenté. “L’idée qui prévalait voulait que le commissaire ait un droit absolu dans le choix des œuvres exposées, explique Caroline Turner. Nous ne voulions pas partir dans ces pays à la seule découverte de l’art qui nous intéressait. Nous ne voulions pas non plus faire de l’APT une biennale officielle où les pays envoient des représentants. Nous devions travailler avec les gens sur place, voir ce qu’ils considéraient comme important dans l’art qui émergeait chez eux”. À cette fin, la QAG a formé un réseau de conseillers et de co-commissaires résidant dans chaque pays. Depuis 1993, ils sont plus de 181 à avoir collaboré au projet. Et Caroline Turner de poursuivre : “Ce que nous ne pouvions pas deviner au départ, c’est l’intérêt qu’il y avait à présenter ces expositions en Australie. En fait, notre pays a fourni un lieu expérimental très différent des nouvelles expositions qui se développent dans la zone Asie-Pacifique. Certains nous décriraient comme un terrain neutre”.

Toutefois, organiser des biennales aurait été trop onéreux pour la QAG. Le coût de chaque triennale est de deux millions de dollars australiens (7,8 millions de francs), et la participation des pays représentés est très faible. Mais le fait d’en assumer seule le financement lui permet d’être “beaucoup plus honnête dans ses choix artistiques”, souligne Caroline Turner. “Le fait que les invitations soient envoyées par les Australiens a vraiment facilité les choses pour tout le monde, y compris pour les personnes avec lesquelles nous travaillions. Le problème n’est pas tant de s’assurer de trouver des pièces vraiment intéressantes, mais de ne pas heurter les systèmes de hiérarchie et d’ancienneté qui existent dans beaucoup de ces pays”. Pour la directrice, cette conception du rôle des commissaires est “un modèle de l’exposition de l’avenir”. Elle n’est pas la seule de cet avis. En 1997, la critique américaine Judith E. Stein notait dans Art in America que les triennales “influençaient le discours global sur l’art contemporain”. Dinah Dysart, rédacteur en chef invité du numéro spécial d’Artlink sur l’art asiatique contemporain, remarquait que “la première APT était révolutionnaire et risquée. Elle a en fait été une révélation extraordinaire parce que nous n’avions encore jamais vu l’art contemporain de ces pays”. L’hémisphère nord s’y intéressant de plus en plus, tout le monde en est venu à reconnaître l’APT comme un événement d’intérêt non seulement régional, mais aussi mondial.

“Bâclée et onéreuse”
Avec le temps, la rupture de ce consensus était inévitable. À Sydney, le critique d’art Benjamin Genocchio a attaqué l’édition en cours en la jugeant “affreusement mal conçue”. Pour lui, il s’agit de “la réalisation la plus bâclée et la plus onéreuse. Le réseau administratif semble avoir pris le pas sur la qualité et la cohérence. Il n’y a aucune logique à ce que quarante-huit commissaires australiens et étrangers choisissent soixante-dix-sept artistes”.

John Mc Donald, directeur des Arts australiens à la National Gallery of Australia, reconnaissait “une part de vérité” dans cette virulente critique. “C’est une observation qui vaudrait pour toute grande exposition, mais la Triennale ne mérite pas un jugement aussi sévère”. Ces réserves ne limiteront cependant pas l’influence de l’APT. John McDonald conclut : “C’est un événement réellement intéressant qui rassemble beaucoup de gens et change progressivement le centre d’intérêt de l’art australien. Si une exposition fait le tour de l’Australie, nous devons nous demander si cela vaut la peine de l’envoyer également à Singapour et à Taiwan. Rien ne pourrait être plus profitable à l’APT.”

Triennale Asie-Pacifique

Jusqu’au 26 janvier, Queensland Art Gallery, Melbourne Street, South Brisbane, tél. 61 7 3840 7303, tlj 10h-17h. Internet : www.apt3.net

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : La Triennale Asie-Pacifique, un « modèle révolutionnaire »

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