Jean Nouvel, premier des Arts premiers

Quinze ans après l’Institut du monde arabe, l’architecte accoste au quai Branly

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 1999 - 788 mots

Filant la métaphore du fleuve, Jean Nouvel a remporté le concours d’architecture du Musée des arts et civilisations du Quai Branly, occupant ainsi un des derniers sites libres du centre de Paris. Cité lacustre suspendue au-dessus d’un jardin conçu par Gilles Clément, le premier grand chantier du millénaire entend, par sa transparence, « s’effacer » devant les collections.

PARIS - Réceptacle ou monument symbolique ? Depuis le grand prix d’architecture de 1779 portant sur la création d’un Muséum, le débat semble avoir peu varié, et le premier musée parisien du troisième millénaire, promis par Jean Nouvel, n’échappera pas à la règle. D’autant que le futur Musée des arts et civilisations d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie et d’Asie se donne pour mission de susciter de nouvelles pratiques muséales, loin du traditionnel antagonisme esthétique/ethnologie inhérent à la présentation d’œuvres non occidentales (lire le JdA n° 88, 10 septembre). Déjà riches de 270 000 objets et assurées d’un budget d’acquisition de 150 millions de francs, les collections constituent le point de départ du musée que l’architecte entend bâtir “autour”, afin de “provoquer l’éclosion de l’émotion portée par l’objet premier”. Réuni le 5 décembre, le jury a classé le projet de l’architecte français en tête, devant ceux de Peter Eisenman, associé à Felice Fanuele, et de Renzo Piano. Après l’abandon de Rem Koolhaas, quatorze candidats étaient encore en lice. Favoris de l’étape, Tadao Ando, associé à Jean-Michel Wilmotte, et Christian de Portzamparc ont donc été éliminés. Le président Jacques Chirac, instigateur du projet, s’en est ensuite tenu aux recommandations des sages.

“Autoriser la communion”
Oubliant l’échec du Stade de France, Jean Nouvel s’apprête donc, quinze ans après la livraison de l’Institut du monde arabe, à inscrire un deuxième jalon de sa carrière internationale au bord de la Seine. Le fleuve joue d’ailleurs une place importante dans la conception du bâtiment qui en épouse la courbe. Rattaché, à l’ouest, au tissu urbain hausmannien par ses locaux administratifs, le musée déploie sur plus de 150 mètres un plateau posé à 12 mètres du sol sur des pilotis à la grammaire irrégulière. À l’autre extrémité, une coupole en écaille surplombe l’ensemble. La rotonde, élément classique du musée, consacrée traditionnellement au saint des saints de la collection, abritera un restaurant ! Proche du vocabulaire futuro-archaïque de la science-fiction, véhiculé par la Guerre des Étoiles et parfois repris par l’architecte israélien Ilan Pivko, l’aspect général évoque une cité lacustre. D’autant que le paysagiste Gilles Clément, en charge du jardin attenant (lire encadré), prévoyait une “grande flaque” au centre du terrain. Les réserves, accessibles au public grâce à un déambulatoire, étant aménagées en sous-sol, l’eau sera remplacée par une nappe de lumière de Yann Kersalé. Quant aux espaces d’accueil et d’expositions temporaires, ils trouveront place au rez-de-jardin.

Mais le principal lieu de visite reste l’étage du musée, conçu par l’architecte comme une “étagère” de 7 500 m2 où s’empilent des boîtes de couleurs et de dimensions variables, transperçant à plusieurs reprises la façade vitrée. Machines à exposer ou cadeaux empoisonnés, ces caissons permettront sûrement de multiplier les parcours dans l’exposition permanente. “Ce dispositif offrira l’occasion de créer des niches, des sanctuaires, et d’exposer des immatériels, comme la musique”, explique Germain Viatte, actuel directeur du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie, et responsable de la direction muséographique. “Environ 5 000 pièces y seront exposées”, estime ce dernier, mais l’avant-projet d’aménagement intérieur ne sera rendu que dans un an. Pour l’instant, place à l’émotion : “Exit les structures, les fluides, les “menuiseries” de façade, les escaliers de secours, les garde-corps, les faux plafonds, les socles, les vitrines, les cartels... Si leur fonction, par la force des choses, doit demeurer, qu’ils disparaissent de notre vue et de notre conscience, qu’ils s’effacent devant les objets sacrés pour autoriser la communion”, prophétise Nouvel dans sa déclaration d’intention.

Dix ans pour un nouveau musée

Juillet 1995 : choix du terrain. Décembre 1998 : création de l’Établissement public du quai Branly. Maître d’ouvrage présidé par Stéphane Martin et placé sous la double tutelle des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale. 8 décembre 1999 : désignation de Jean Nouvel. Mars 2000 : début du chantier des collections : inventaire, numérisation, création de banques de données sur les collections. 20 000 objets proviennent du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie et 250 000 du laboratoire d’ethnologie du Musée de l’homme. Du 29 mars au 5 juin 2000 : présentation des quatorze projets au Centre Georges Pompidou. Avril 2000 : ouverture de l’antenne du Louvre, avec une sélection de 150 chefs-d’œuvre. Début 2001 : début des travaux du Quai Branly. Le coût de l’ensemble est estimé à 1,1 milliard de francs, dont la moitié pour le bâtiment. 2003 : mise en place de la muséographie. 2004 : ouverture du musée.

Au bord de la Seine, un musée jardin

Situé sur la rive gauche, en face du palais de Tokyo et à 500 mètres à l’est de la tour Eiffel, le terrain du quai Branly est à la fois un des derniers espaces vierges du centre de Paris et un lieu sensible : le projet d’un Centre de conférences internationales mené par Francis Soler avait échoué en partie à cause des riverains. Assujetti à un sévère plan d’occupation des sols, le futur musée ne dépassera pas 25 mètres de hauteur et devra réussir, par l’importance de ses espaces verts, supérieurs en surface à l’espace occupé par le bâtiment, son intégration dans le tissu urbain. “Si le jardin s’inscrit dans le registre spatial du square, il ne se réfère en rien à son esprit XIXe�?, explique son concepteur, Gilles Clément, commissaire de l’exposition “Jardin Planétaire�? et auteur du parc André-Citroën. En front de Seine, l’espace débutera par des panneaux de verre, comme pour la Fondation Cartier, mais ornés de silhouettes d’arbres sérigraphiées, visibles à contre-jour. Il se développera ensuite en deux parties, séparées par le bâtiment central. Percé “de petites clairières se référant aux cosmogonies abordées à l’intérieur du musée�?, le jardin alliera magnolias, chênes, graminées ou lianes, mais aucun artifice ne sera utilisé dans sa culture. Ouvert à tous, le parc fonctionnera comme un espace public, et la terrasse du musée, accessible gratuitement, devrait garantir le succès du lieu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Jean Nouvel, premier des Arts premiers

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