La bonne humeur de Calder

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 juin 2008 - 691 mots

La Galerie Brame & Lorenceau marque son virage dans l’après-guerre sous le signe joyeux d’Alexander Calder.

PARIS - « Un poème qui danse avec l’allégresse de la vie et de ses surprises. » C’est ainsi que le sculpteur américain Alexander Calder (1898-1976) qualifiait ses mobiles. L’expression sied tout autant à ses gouaches, dont il écrivait dans son Autobiographie : « J’aime beaucoup faire des gouaches. Cela va vite et l’on peut s’étonner soi-même. » Ce goût du rêve éveillé transparaît dans l’exposition très enlevée organisée par la Galerie Brame & Lorenceau, à Paris, jusqu’au 4 juillet. Couvrant les années 1946 à 1975, cet accrochage de trente-six feuilles révèle la joie solaire de l’artiste, une vitalité teintée d’humour et de fraîcheur enfantine.
Bien que Calder ait adopté le chemin de l’abstraction dans ses sculptures, ses dessins échappent à tout rigorisme constructiviste. La figuration pointe en tenue de camouflage, ou de façon affirmée dans les pièces associant tantôt un âne et un diablotin, tantôt un éléphant et une souris. Serpentins, spirales et cercles concentriques forment surtout le socle de son vocabulaire. La ligne courbe, entortillée, joue la récurrence jusqu’à provoquer une Hypnose, titre d’une gouache de 1968. Car même dans ses dessins, le mouvement le démange. C’est d’ailleurs après avoir vu en 1930 les plans colorés de Mondrian dans son atelier parisien que Calder entreprend ses premières sculptures cinétiques. « Rentré chez moi, j’ai essayé de peindre. Mais le fil de fer ou une chose à tordre ou à déchirer est plus apte à saisir ma façon de penser », dira-t-il. D’autres gouaches reprennent les motifs sphériques, rescapés de ses mobiles. « Lorsque j’ai fait usage de sphères et de disques, j’avais l’idée qu’ils devaient représenter plus que ce qu’ils sont, relatait l’artiste. Un peu comme la Terre est une sphère, mais avec une enveloppe de gaz autour et des volcans dessus et la Lune qui fait des cercles, et un peu comme le Soleil est une sphère, mais aussi une source de chaleur très intense dont l’effet est sensible à une grande distance. » Une gouache plus charpentée de 1973, construite en lignes de fuite noires entrecoupées des couleurs primaires rouge et bleu, évoque tout autant sa dette envers Mondrian que la structure en trépied de certains stabiles.

« Calder-Miró »
Renvoyant à l’univers sculptural de Calder, les gouaches rappellent aussi son compagnonnage avec Joan Miró, rencontré dès 1928. De cette complicité digne de Montaigne et La Boétie naîtra une cosmogonie commune. « Entre Calder et Miró il n’était jamais question d’imitation. Ils ne se disputaient jamais sur les formes, n’en réclamaient pas la paternité », explique Elizabeth Hutton Turner dans la préface du catalogue de l’exposition « Calder-Miró » organisée à la Fondation Beyeler, à Riehen (Suisse), en 2004. La parenté avec le peintre catalan est saisissante dans une superbe gouache très touffue de 1950 intitulée Le Sablier. Au premier coup d’œil, cette feuille traversée de lignes et de spirales, de cratères et d’explosions, aurait pu relever de la veine surréaliste de Miró. Calder excelle précisément lorsque l’usage abondant d’eau fait fuser la couleur, produit dendrites et tentacules comme dans une autre feuille de 1967 baptisée Trois cercles blancs. Aussi forte que soit la proximité entre Calder et Miró, l’esprit des deux créateurs diffère. Parfois offertes en cadeau à ses proches, comme en attestent un certain nombre d’envois notamment à Jean Cassou, les œuvres de l’Américain trahissent une bonne humeur indéfectible. Nicolas Guppy y fait allusion dans Calder, derrière le miroir : « Là où un insecte de Miró pique, un serpent de Miró est dangereux, venimeux… Un insecte de Calder sourit, un ver de Calder danse, un serpent de Calder fascine, séduit. » Ou tout simplement « swingue » comme dans cette joyeuse sarabande que forment Tétards sur soleil rouge de 1965. Seul bémol à cette exposition jouissive, les pochades trop basiques, décoratives et paresseuses que sont ces Boucles de 1971. On y devine un artiste faisant ses gammes plutôt que des idées abouties. Nobody’s perfect. 

CALDER, GOUACHES, jusqu’au 4 juillet, Galerie Brame & Lorenceau, 68, boulevard Malesherbes, 75008 Paris, tél. 01 45 22 16 89, tlj sauf dimanche 11h-18h30, www.gbl.fr 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : La bonne humeur de Calder

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