Dynamisme

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 3 juin 2008 - 1237 mots

Face aux grands établissements parisiens, les musées du nord de la France font preuve d’un étonnant dynamisme tout en restant fermement ancrés dans la culture locale.

Les institutions du nord de la France détiendraient-elles le secret du musée réussi ? Seuls établissements de province à rivaliser avec les valeurs sûres parisiennes, la Piscine-Musée d’art et d’industrie de Roubaix, le Palais des beaux-arts de Lille et le Musée de Picardie d’Amiens figurent parmi les dix premiers de ce classement répertoriant les musées les plus dynamiques – le Musée du Louvre confirme sa suprématie et le Musée des beaux-arts de Nancy a fait une belle remontée en se plaçant au 9e rang. L’institution roubaisienne est même parvenue à ravir la deuxième place au Musée d’Orsay (Paris), recalé en troisième position par le simple fait de ne pas avoir communiqué le nombre d’adhérents répertoriés par son association d’amis du musée. Il est, à cet égard, important de préciser que le classement du trio de tête s’est joué dans un mouchoir de poche – 160 points pour le Louvre, 158 pour Roubaix et 156 pour Orsay. Mais la Piscine se distingue avant tout grâce à une progression de 36 % pour sa fréquentation, une prouesse due à une programmation énergique étayée par de nombreux partenariats (21 expositions en 2007, autant que le Louvre, avec un budget de 713 000 euros contre 4,06 millions d’euros pour l’établissement parisien). Le Musée d’art et d’industrie a aussi mis en place une stratégie de communication efficace, misant autant sur le prestige international (nombreux sont les visiteurs britanniques et belges attirés par le lieu) que sur la fierté locale d’avoir su convertir un bâtiment historique en un lieu culturel vivant.

La gratuité, non suffisante
Parallèlement aux efforts des musées du nord de la France, ce sous-classement souligne l’hégémonie des musées généralistes de beaux-arts, exception faite du château de Versailles et du Centre Pompidou (Paris). Signalons par ailleurs que le premier établissement du classement appliquant la gratuité, le Musée des beaux-arts de Dijon, en travaux, n’arrive ici qu’en 23e position. Or le succès de la Piscine prouve incidemment que la gratuité ou un unique événement phare ne sauraient être les seuls indicateurs de l’attrait et du dynamisme d’un musée. Ainsi le Musée des beaux-arts de Valenciennes a-t-il vu son taux de fréquentation augmenter de 217 % grâce à l’exposition au thème fédérateur « Pharaon : homme, roi, dieu », avec un joli succès commercial à la clé, tout en perdant plusieurs places dans ce classement. Autre stratégie, le Palais des beaux-arts de Lille (8e) a privilégié un nombre restreint d’expositions de qualité, parmi lesquelles « Philippe de Champaigne », en débloquant des fonds significatifs pour leur organisation (1,3 million d’euros), et progresse de trois places. Le Musée de Picardie à Amiens a, en revanche, souffert de la fermeture de ses salles d’expositions temporaires pour travaux, chutant ainsi de la 5e à la 9e place. Avec 2 millions d’euros de recettes, le Centre historique minier de Lewarde (Nord) est l’invité surprise du cercle des dix premiers musées générant le plus de ressources. L’habileté du site à célébrer l’histoire de la région, tout en proposant des expositions d’art contemporain sur le même thème, se révèle un gage d’intérêt aux yeux des visiteurs locaux (lire l’encadré p. 16). Enfin, en obtenant la donation Alice Teriade, estimée à 42 millions d’euros, le Musée départemental Matisse au Cateau-Cambrésis (Nord) démontre une nouvelle fois qu’une institution vivante sait faire fructifier ses relations avec les collectionneurs et autres mécènes.
Pour ce critère des acquisitions faites grâce aux libéralités (dons, dations, mécénat…), les 21,8 millions du Louvre paraissent bien pâles en comparaison de la donation Teriade, en dépit de l’énergie déployée par les équipes dévolues au mécénat du musée parisien. Par ailleurs, neufs établissements ont bénéficié de largesses privées dépassant la barre de 1,4 million d’euros. Le dixième, la Piscine à Roubaix, n’a obtenu « que » 467 000 euros, preuve que la générosité à grande échelle a pour fâcheuse tendance de se diriger seulement vers les grands musées parisiens aux carnets d’adresses biens fournis. Le Musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny (Paris) a ainsi conclu une belle opération en obtenant les fonds nécessaires à l’acquisition d’un superbe coffret gothique en ivoire du début du XVIe siècle (2,6 millions d’euros). Tandis que le Musée des Arts décoratifs (Paris) se maintient à un bon niveau (2,7 millions d’euros), sachant que ces libéralités correspondent à la quasi-totalité de ses acquisitions en 2007 (lire le JdA no 281, 9 mai 2008, p. 15 à 21). Au vu du nombre réduit de ses « Amis » (seulement 500, lorsque le château de Versailles en compte 6 000 et le Musée national de la marine à Toulon, 3 000 !), le Musée des Arts décoratifs démontre qu’il bénéficie d’un réseau particulièrement bien disposé. Ces associations d’amis de musée offrent souvent un soutien financier non négligeable dans le cadre d’acquisitions ou de rénovations, c’est pourquoi il semble étonnant qu’un grand nombre de musées n’en soient pas dotés. Celle du Musée Rodin, par exemple, fut dissoute il y a quelques années à cause de sa trop grande influence sur les projets en cours. L’institution préfère aujourd’hui se concentrer sur la mise en place d’un cercle d’entreprises (aux avantages financiers similaires, voire plus importants, mais sans les contraintes morales d’une société d’amis), tout en encourageant le mécénat à titre privé.

Histoire et contemporanéité à Lewarde

Niché dans l’ancienne fosse Delloye près de Douai (Nord) depuis près de vingt-cinq ans, le Centre historique minier de Lewarde est le plus grand musée de la mine de France et le musée de site le plus fréquenté de la région Nord - Pas-de-Calais. Avec plus de 140 000 visiteurs chaque année, le centre fait preuve d’un grand dynamisme au niveau local. Outre les recettes de billetterie, de la boutique et du restaurant fort fréquenté, le nombre élevé de locations d’espaces aux particuliers est un important facteur du succès commercial du lieu (130 par an, en 2e position après le Musée de l’armée, à Paris). Créées en 2002, lors des travaux de réaménagement toujours en cours, les salles de séminaires et l’auditorium répondent autant aux besoins des équipes du musée qu’à une demande des entreprises locales, soucieuses de profiter du cadre et de l’aura du site. Par ailleurs, les sollicitations fréquentes des collectivités, médiathèques et bibliothèques ont entraîné la création d’un système de location particulier. À l’occasion de la plupart de ses expositions, le centre propose en effet une version itinérante pour un forfait modeste couvrant les frais d’entretien (à partir de 100 euros). Pratique choquante lorsqu’il s’agit de chefs-d’œuvre de la Renaissance, ces locations ne concernent que des présentations d’esprit pédagogique, comportant panneaux explicatifs, photographies et objets usuels liés à la mine – les pièces les plus fragiles ne quittent pas les murs du centre. Soucieux de surprendre son public, ce musée scientifique a également su inscrire l’art contemporain dans un cadre a priori austère, témoignant de l’empreinte séculaire du travail de la mine sur l’identité régionale. Lorsqu’ils ne viennent pas spontanément proposer leur travail (sur le thème du paysage minier par exemple), ces artistes peuvent être invités à mener une réflexion sur les collections. En dépit de cette activité soutenue, le centre fonctionne depuis deux ans sans conservateur pour superviser la régie des collections, les acquisitions, les travaux de restructuration… Faute de candidat ad hoc, le conseil régional poursuit actuellement sa campagne de recrutement. À bon entendeur.

La toile du Nord

C’est grâce à son dynamisme depuis près de trente-cinq ans que l’Association des conservateurs des musées du Nord – Pas-de-Calais se distingue des vingt et une autres sections fédérées de l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France. Regroupant une cinquantaine de conservateurs et attachés de conservation travaillant dans trente-cinq musées des départements du Nord et du Pas-de-Calais, l’organisme œuvre pour la promotion des établissements de la région, lesquels ont choisi d’unir leurs forces pour mener à bien différents projets (édition d’ouvrages, journées d’étude ou expositions, telle la rétrospective « Anthony Caro » conjointement présentée cet automne à Gravelines, Calais et Dunkerque). Au cœur de ce réseau, le site Internet baptisé « Musenor », qui centralise toutes les informations utiles aux visiteurs (dates d’expositions, de conférences, d’événements). Mais le grand projet de l’association consiste en la numérisation des collections, dont près de 25 500 fiches sont déjà disponibles à l’adresse www.musenor.com – le 19e inventaire thématique, en cours, est axé sur le dessin. Bénéficiant d’un large soutien politique, tant au niveau national, régional, départemental, municipal (Roubaix, où siège l’association) qu’européen, l’association aimerait voir sa structure évoluer pour gagner en efficacité. À l’avenir, son plus grand défi sera l’intégration en douceur de l’antenne du Musée du Louvre basée à Lens au sein d’un réseau d’établissements à forte identité locale. Si l’arrivée du mastodonte parisien promet de s’accompagner d’un flux jusque-là inespéré de touristes internationaux, les musées voisins risquent de pâtir d’un bouleversement du paysage. Pour leur rendre hommage, le Louvre-Lens s’est d’ores et déjà engagé à organiser, en 2010, une exposition récapitulative du dernier inventaire global des collections de dessins des membres de l’association.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : Dynamisme

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