Dominique Perrault à Séoul

L’origine du monde

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 3 juin 2008 - 553 mots

Fondée en 1886 par Mary F. Scranton - une missionnaire méthodiste américaine - devenue officiellement université en 1945, remarquablement classée au « Top 20 » des universités mondiales, Ewha Womans University accueille 22 000 étudiantes au sein de 14 facultés, 13 grandes écoles et 37 instituts de recherche.

Son succès grandissant au cours de ces dernières années a, naturellement, provoqué une crise d’espace sur son campus lové au cœur de Séoul (Corée du Sud). Un concours international a donc été lancé pour augmenter sa capacité d’accueil à l’aide d’une surface représentant la bagatelle de 70 000 m2. Concours remporté par Dominique Perrault, avec un projet qui peut se lire comme un manifeste de la « non-architecture », mais qui s’inscrit bien dans la « stratégie de l’enfouissement » chère à l’architecte. Une stratégie qu’il a déjà pratiquée à la Bibliothèque nationale de France à Paris et pour le vélodrome/piscine olympique de Berlin, ou encore qu’il a envisagée dans des projets non réalisés tels la Cité de la culture de Galice à Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) ou la bibliothèque Kansai-Kan à Kyoto Seika-cho (Japon).
Et voilà qu’au noir de l’asphalte, au rouge de la piste, au vert de la nature, succède la blancheur de la faille. Une faille, une fente, un sillon qui plonge en pente douce jusqu’à 20 mètres de profondeur et remonte à l’autre extrémité par de larges emmarchements.
La première sensation, optique, ne révèle pas la dimension de cette faille, laquelle donnera sa pleine mesure une fois qu’on aura gagné son cœur : gigantesque, démesurée, et pourtant, ne faisant qu’effleurer le sol. De chaque côté, une immense paroi vitrée dont la ligne de crête, quoique parfaitement orthogonale, semble s’incurver : effet saisissant. Les menuiseries métalliques qui encadrent tout ce vitrage évoquent irrésistiblement une portée musicale dont les rythmes créent d’étranges scansions, tandis que les écrous borgnes qui les calent apparaissent comme des appoggiatures aux vibratos sans fin.
À l’intérieur, des volées d’escaliers ponctuent l’espace, lui donnant des repères excluant tout sentiment de vertige. S’ensuivent alors, sur cinq niveaux : salles de cours, amphithéâtres, auditoriums, salles de sport, boutiques, espaces de rencontre, carrefours, coursives, passerelles, le tout en premier jour, ce qui paraît invraisemblable et que pourtant Perrault organise par le seul jeu des vitrages transparents ou translucides.
À une extrémité, le « jardin enfoui », traité en acier inox à la manière d’une armure réticulée asiatique, joue des vibrations de la lumière, de ses reflets et de ses mouvances. À l’autre extrémité, le grand auditorium des étudiants, entièrement ouvert, a, pour fond de scène, une vue plongeante sur les parkings : manière de mettre l’ensemble en prise directe sur l’espace urbain.
À la nuit tombante, la faille soudain s’illumine et se transmue en une gigantesque traînée de lumière et de couleurs. À cet instant précis, il devient évident que la meilleure manière – le seul moyen peut-être – de « lire » cette non-architecture serait, sans doute, de la radiographier.
À Séoul, avec la Ewha Womans University, Dominique Perrault démontre une fois de plus que cette « non-architecture » à laquelle il est attaché est synonyme de densité, de puissance, d’épaisseur, de force et, quoi que l’on puisse en penser, d’expressivité. À Séoul, plus qu’une architecture, il livre un lieu d’origine.

Dominique Perrault expose au Centre Pompidou du 11 juin au 19 septembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : Dominique Perrault à Séoul

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