Turquie

Philanthropie stanbouliote

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 juin 2008 - 707 mots

Entre promotion de la culture turque et quête de l’excellence internationale, le Pera Museum, à Istanbul, s’affirme comme la pointe émergente d’une vaste entreprise philanthropique.

ISTANBUL - Il est des structures muséales privées qui savent mettre des investissements financiers importants au service d’objectifs intellectuels ambitieux, tout en conservant une élégante discrétion. Le Pera Museum, à Istanbul, est incontestablement de ceux-là.
Inauguré en juin 2005, le musée occupe le bâtiment de l’ancien hôtel Bristol, un édifice bâti en 1893 et entièrement réaménagé pour ses nouveaux usages. D’une surface de 3 700 m2 déployés sur sept niveaux, dont trois sont réservés aux expositions temporaires, l’établissement conserve trois collections permanentes très spécifiques exposées sur deux étages.
Sous le titre « Portraits de l’Empire », est regroupé un ensemble cohérent de portraits orientalistes des XVIIIe et XIXe siècles, dont l’essentiel fut le fait d’artistes occidentaux (Antoine de Favray, Jules Joseph Lefebvre, Felix Ziem…). Ailleurs, et de manière assez inattendue, sont réunis des « Carreaux et céramiques de Kütahya » – deuxième plus important centre de production de céramique de la Turquie ottomane –, ainsi que des « Poids et mesures anatoliens » allant de la préhistoire à nos jours. Autant d’œuvres propriété de Suna et Inan Kiraç, lesquels sont à l’origine en 2003 de la création d’une fondation éponyme aux objectifs multiples.
Vice-présidente du groupe Koç, important holding industriel et financier, Suna Kiraç, classée par Forbes au neuvième rang des fortunes de Turquie, collectionne depuis le début des années 1980. Lorsque, en 1998, on lui diagnostique une sclérose en plaques, la première étape de l’engagement philanthropique du couple porte, comme souvent en pareil cas, sur la recherche médicale avec l’ouverture d’un laboratoire de recherche sur les maladies neurodégénératives hébergé par l’université Bosphorus. La mise sur pied de la Fondation Suna et Inan Kiraç fut l’occasion de mettre en exergue leurs inclinations culturelles, et le Pera Museum en constitua le premier investissement.
L’engagement du couple dans le champ culturel s’étend au-delà d’un simple espace de présentation – voire de « représentation » – et ne se focalise pas sur des aspects « blockbuster », comme en atteste le choix opéré pour la constitution des collections permanentes.

Projet complexe
Certes, parmi les trente expositions réalisées à ce jour, beaucoup ont tenté de présenter au public des aspects de l’excellence mondiale, comme des dessins de Rembrandt
et de son école (2006), Jean Dubuffet (2006), la collection de la banque JPMorgan Chase (2007), ou, actuellement, la première exposition consacrée à Joan Miró jamais montée dans ce pays. Mais le soutien à la création locale s’est manifesté par des présentations de jeunes artistes turcs ayant donné lieu à la publication de trois catalogues. De même, est visible aujourd’hui le travail de Burhan Dogançay associé à celui de Jacques Villeglé, dans un accrochage conçu par le critique d’art Philippe Piguet.
Encourager le savoir scientifique, la connaissance et la conservation de la culture turque – via notamment la numérisation de nombreux ouvrages anciens – est une autre des missions assignées à la fondation. Celle-ci, après avoir reconverti en 2007 un immeuble voisin, y a installé un institut de recherches où trois niveaux distincts, comportant bibliothèque, salles de lecture et réserves, sont respectivement consacrés aux études byzantines, ottomanes ainsi qu’à Atatürk et à la République.
La prochaine étape de cette entreprise éclectique et cohérente est un projet de centre culturel sur une esplanade située juste en face du musée. Il devrait regrouper deux bâtiments reliés par des espaces verts : un théâtre consacré à l’art dramatique et une salle de concerts de 1 800 places logée dans une spectaculaire tour de verre. Offert à la ville d’Istanbul, ce complexe, qui n’attend plus que le feu vert gouvernemental pour être mis en chantier, serait conçu par Frank O. Gehry. Si sa date d’ouverture, initialement prévue pour 2010 – année où Istanbul sera « Capitale européenne de la culture » – semble compromise, l’ensemble ainsi constitué devrait marquer fortement le paysage tant physique qu’intellectuel d’une ville où l’initiative culturelle se trouve toujours en mains privées.

Pera Museum, Mesrutiyet Caddesi 65, Tepebasi, Beyoglu, Istanbul, tel. 90 212 334 99 00, www.peramuzesi.org.tr, tlj sauf lundi 10h-19h, dimanche 12h-18h. « Collage-Décollage. Dogançay, Villeglé », jusqu’au 13 juillet ; « Joan Miró », jusqu’au 31 août.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : Philanthropie stanbouliote

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