Monographie

Re-connaissance

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2008 - 693 mots

Avec son titre en forme de jeu de mots, la rétrospective de l’œuvre de Balthasar Burkhard, présentée au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, perce l’univers esthétique d’un photographe « plus reconnu que connu », selon Patrick Javault, commissaire de l’exposition.

STRASBOURG - « Reconnaissances » emprunte des chemins de traverse dans le travail de Burkhard. Au fil de cet « itinéraire bis », on pourra reconnaître ou plutôt « re-connaître » l’œuvre, c’est-à-dire en refaire l’expérience, recommencer l’exercice d’approche. Car cette exposition qui brouille la chronologie, mélange les séries comme on bat des cartes, donne l’occasion inédite d’embrasser tout l’œuvre, d’en mesurer les contradictions pour enfin interroger son identité.

Obsession de la matière
Engagé en 1965 comme photographe documentaliste à la Kunsthalle de Bern, alors dirigée par Harald Szeemann, l’artiste suisse né en 1944 expose en 1970 ses premières œuvres où s’affirment déjà quelques partis pris : grands tirages noir et blanc, contrastes prononcés, prises de vue frontales. Dans la succession des séries qui dressent un répertoire du monde – corps, paysages, villes, animaux –, se démarque une attention portée au cadrage et à la « juste dimension », autant qu’à la plasticité des tirages et à la subtilité du grain. Balthasar Burkhard a inventé un mode de représentation qui résout l’opposition entre l’objectivité de la photo documentaire et l’esthétisme du tableau. Ce compromis idéal porte l’héritage de la Nouvelle Objectivité, née en Allemagne, et plus encore du concept de « photogénie » tel que le définit Guillaume Le Gall dans le catalogue de l’exposition : « La Nouvelle Objectivité attendait de la photographie qu’elle soit le témoin objectif des beautés et du caractère magique du monde. »
La beauté saisissante des photographies de Burkhard traduit son désir de s’emparer de tout, de chaque détail du visage de la geisha (Maiko, 1987) à l’étendue de la ville (Los Angeles, 1999). Avec Alpes (1993) ou Normandie (1995), le photographe ne peut se résoudre à simplement dépeindre l’immensité de la montagne et la violence d’une vague sans capturer chacune des gouttes d’eau que contient le brouillard alpin ou l’écume normande. Ici s’exprime un appétit insatiable pour le monde ou plutôt ses enveloppes, terrestre ou épidermique. Cette obsession de la matière chez Burkhard trouve à s’assouvir dans la pratique de l’héliogravure. La technique de reproduction découverte par Nicéphore Niepce dévoile une gamme infinie de gris et accentue le grain de la photographie ; ainsi transformée en une petite estampe, l’image semble s’inscrire dans la tradition pictorialiste.

Chocs thermiques
Au-delà de ce mimétisme, l’œuvre de Burkhard porte tout l’héritage du passé, dans l’hommage permanent à Courbet qu’il copie tel l’élève d’une académie postmoderne (L’Origine, 1988), mais aussi dans le traitement du sujet à la manière d’une étude, renouant avec la peinture classique. Loin du photo-reportage, sa pratique se joue dans le microcosme de l’atelier,comme  le rappellent les draps tendus derrière les animaux (L’Ours, 1996) ou les nus (Séville, 2007), et l’exposition s’ouvre très justement sur l’évocation de cette antichambre de l’art. Ainsi conviendrait-il d’appréhender chaque photographie en mesurant l’épaisseur de l’histoire de l’art qu’elle contient en strates. Mais le génie de Burkhard réside dans la façon qu’ont ses œuvres d’apparaître dans une impression de déjà-vu, soudainement dépassée par le sentiment troublant de « voir » pour la première fois ces forêts, cascades ou montagnes, ici recadrées et « re-présentées » à une nouvelle échelle, comme dans une peau neuve.
Trahissant la loi des séries, l’accrochage de Patrick Javault s’autorise des chocs thermiques, de la forêt amazonienne aux alpages suisses, opère d’étonnants rapprochements formels, poétiques et sensuels (un tapis de fleur côtoie une plante de pied). Cette scénographie révélerait-elle ainsi plus fidèle à l’esprit de l’œuvre ? Dans cette exposition construite comme un jeu d’enfant, où un Éléphant (1996) de trois mètres de haut s’apprête à piétiner Paris vue du ciel, réduite à la taille d’une maquette, on pourra reconnaître l’œuvre de Burkhard, mais surtout en faire de nouveau la connaissance.

BALTHASAR BURKHARD, RECONNAISSANCES 1969-2007

Jusqu’au 3 août, Musée d’art moderne et contemporain (MAMCS), 1, place Hans-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, tlj sauf mardi 12h-19h, 10h-18h le week-end). Cat. 120 p., 36 euros, ISBN 978-2-35125-062-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Re-connaissance

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