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Gravure

Éternels « Caprices »

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2008 - 784 mots

LILLE

En cette année de célébration de la mort de Goya, le Palais des beaux-arts de Lille ressort sa série complète des « Caprices », sombre satire de la vilenie humaine.

Francisco de Goya, Asta su Abuelo, No. 39 de la série "Caprichos" (1ère edition, Madrid, 1799), 1797-1799, eau-forte et aquatinte, 21,4 cm x 15 cm . (impression)/ 30,6 x 20,1 cm. (papier)
Goya, Asta su Abuelo, No. 39 de la série "Caprichos" (1ère edition, Madrid, 1799), 1797-1799, eau-forte et aquatinte, 21,4 cm x 15 cm . (impression) / 30,6 x 20,1 cm. (papier)

LILLE - Des prostituées plumant, troussant et lardant des volatiles à tête humaine (pl. 19), un âne consultant son arbre généalogique (pl. 39), des moines s’extasiant à l’écoute des prédications d’un perroquet (pl. 53), sont quelques-uns des thèmes évoqués dans les célèbres Caprices de Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828), dans lesquels l’artiste se propose de « bannir de nuisibles croyances communes et de perpétuer […] le ferme témoignage de la vérité ». Cupidité, luxure, bêtise, superstition : tout le catalogue des vices humains et des travers de la société espagnole de la fin du XVIIIe siècle y est passé en revue. Sans aucune concession, certaines planches relevant d’« une expérience vraiment limite », comme le note Yves Bonnefoy dans la préface au catalogue de l’exposition de Lille. À en croire l’historien de l’art Élie Faure (1873-1937) dans ses écrits, l’artiste, devenu sourd en 1792, aurait lui-même goûté au stupre et à la violence lors de séjours romains et madrilènes.

Détachement allégorique
Publié en 1799 et constitué de quatre-vingts planches, l’album des Caprices est le premier et le plus célèbre des recueils de gravures dû à l’artiste. Il n’avait pas été exposé dans sa totalité depuis près de dix-huit ans au Palais des beaux-arts de Lille, qui en conserve l’un des rares exemplaires français de la première édition. Est-ce bien judicieux en cette année de célébration des 180 ans de la mort de l’artiste, qui s’accompagne d’une floraison d’expositions, et alors que le Petit Palais, à Paris, en présente déjà la moitié dans le cadre d’une grande manifestation consacrée à ses gravures (lire le JdA no 278, 28 mars 2008) ? Si les deux musées ne se sont vraisemblablement pas concertées en amont, Alain Tapié, directeur du musée lillois, revendique ce travail mené sur les collections de son musée. Et l’amateur ne boudera pas son plaisir de pouvoir se plonger dans l’intégralité de cet ensemble si troublant. Car si les planches ne sont pas conçues dans la logique d’une suite chronologique et que chacune présente son propre intérêt pictural, embrasser la totalité de la série permet d’en saisir la portée.
La diatribe contre la folie humaine s’y décline en trois thèmes majeurs : la prostitution, les mœurs sociales et la superstition. Elle s’achève par un Ya es hora – « C’est l’heure » – intimant au triomphe de la raison sur l’obscurantisme. Le pari de critiquer aussi ouvertement les dérives de la religion n’est pas anodin pour le peintre du roi qu’est alors Goya, tandis que sévit l’Inquisition. L’album ne rencontrera d’ailleurs pas le succès commercial escompté. Sur 300 exemplaires, seuls 60 seront vendus, le reste ainsi que les planches gravées originales étant cédés en 1803 à la Chalcographie royale contre le versement d’une rente pour son fils. Pour quelles raisons l’album n’a-t-il pas été victime de la censure ? « Goya y privilégie la tradition du détachement allégorique et de l’emblème », explique Alain Tapié. L’artiste n’adopte donc pas la posture du caricaturiste, qui force volontairement le trait, mais use au contraire du registre de la satire grâce à l’allégorie. Il forge ainsi un langage universel, puisant dans la tradition des recueils d’iconologie de la Renaissance, dont le plus célèbre est celui de Cesare Ripa (1593). Il n’est pas étonnant, dès lors, que la série de ces « fantaisies » – c’est la signification du mot « caprice » – trouve un écho dans l’art actuel. L’exposition se poursuit en effet par un désormais classique prolongement contemporain. Si Thomas Schütte ou Rona Pondick explorent un univers d’hybridations à la manière de Goya, les frères Jake & Dinos Chapman, rois de la controverse, vont plus loin en retravaillant les planches à partir d’une série complète originale. En 2005, cette nouvelle série était exposée à la galerie White Cube à Londres sous le titre Like a dog returns to its vomit, référence au livre des Proverbes de la Bible : « Comme un chien retourne à ce qu’il a vomi, ainsi est un insensé qui revient à sa folie. » Le transformiste Yasumasa Morimura, avec Los Nuevos Caprichos, explore une voie similaire en recréant méticuleusement les scènes dans lesquelles il endosse le rôle de chaque personnage. Le résultat prend la forme de grandes photographies, métaphores de la vulgarité contemporaine.

GOYA, LES CAPRICES & CHAPMAN, MORIMURA, PONDICK, REEKIE, SCHÜTTE

Jusqu’au 28 juillet, Palais des beaux-arts, place de la République, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00, tlj sauf mardi 10h-18h, lundi 14h-18h
Site internet : www.pba-lille.fr
Catalogue, éd. Somogy, 224 p., 29 euros, ISBN 978-2-7572-0186-2

GOYA, LES CAPRICES

- Commissaire général de l’exposition : Cordélia Hattori, chargée du cabinet des dessins
- Commissaire des Caprices contemporains : Régis Cotentin, chargé de la programmation contemporaine

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Éternels « Caprices »

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