Art américain

Une biennale « low profile »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 9 avril 2008 - 672 mots

Avec un discours dilué et globalement redondant, le cru 2008 de la Biennale du Whitney manque de souffle.

NEW YORK - La belle installation de Mika Rottenberg qui achève le parcours n’y peut rien. La soixante-quatorzième édition de la Biennale du Whitney Museum, à New York, laisse une vague impression de tristesse. Comme si l’exposition, peu sûre de la réelle motivation de ses prises de position, avait mis entre parenthèses les engagements, la prise de parole à voix haute et les aspérités. Ce en axant l’essentiel de son discours sur des problèmes de mutation sans que la voix ne dépasse, la plupart du temps, la limite tracée par la surface.
L’installation n’arrange rien à l’affaire. Car, outre la différence qualitative entre les œuvres, au demeurant inhérente à n’importe quelle biennale, celle-ci fait montre d’un déficit dans l’accrochage, qui a souvent des difficultés à affirmer une cohérence et apparaît par trop dilué. Notamment au deuxième niveau – sur les trois occupés au total par la manifestation –, où s’enchaînent beaucoup de propositions très littérales : ainsi l’évocation de la question noire par Adler Guerrier (Untitled (BLCK-We Wear The Mask), 2007-2008), ou de l’extrémisme par Daniel Joseph Martinez, qui a sagement inscrit les noms de groupuscules sur des tableaux laqués (Divine Violence, 2007). Ailleurs, elles seront trop maniérées, ainsi des petits débris de béton déposés sur le rebord d’une fenêtre par Carol Bove (Untitled, 2007).
Des œuvres de qualité ne font pourtant pas défaut, à l’instar de celle de Rottenberg justement. Avec son Cheese (2007-2008), le visiteur pénètre dans une cabane en bois à la stabilité mal assurée, à l’intérieur de laquelle plusieurs vidéos revisitent l’histoire des sœurs Sutherland, dont les longs cheveux étaient porteurs du don de fertilité. Une évocation des liens forts unissant l’homme et la terre, comme en une pensée de l’espace et du temps allant à rebours de la notion moderniste de progrès. Cette résistance est affichée par d’autres, telle Phoebe Washburn, familière des mini-écosystèmes développés en opposition frontale aux modèles industriels. Il est dommage que sa proposition métaphorique pour produire du jus de fruit vire à « l’usine », trop complexe pour un propos qui se voudrait simple (While Enhancing a Disminishing Deep Down Thirst, The Juice Broke Loose (The Birth of a Soda Shop), 2008).

Agrégats poétiques
Centrale dans l’ensemble de l’exposition, la question de la gestion du temps et de l’espace occupe de nombreux artistes, avec des mobiles divers. Chez William Cordova, c’est la charge historique qui prédomine, avec une lecture à l’aune de l’éphémère contemporain. Son installation extrêmement minimaliste dans la forme, faite d’un labyrinthe de tasseaux de bois, recrée le plan de la maison où deux membres des Black Panthers furent assassinés par la police de Chicago en 1969 (The House That Frank Lloyd Wright Built for Fred Hampton and Mark Clark, 2006).
Dans nombre d’autres propositions, espace et temps sont reconfigurés, triturés, voire étirés. Dans l’installation vidéo The Alchemy of Comedy… Stupid (2006), Edgar Arceneaux évoque le processus de transformation en plaçant le comédien David Alan Grier dans plusieurs lieux. Alors que c’est la route qui occupe Amy Granat et Drew Heitzler dans la double projection T.S.O.Y.W. (2007), qui voit la relation passionnelle et contrariée d’un homme pour sa moto.
Dans ces problématiques de mutations, c’est le plus souvent l’intérêt porté à la matière qui, combiné à une esthétique relativement pauvre, questionne le territoire, ses évolutions, et les voies imaginées par le corps afin de s’y insérer. Comme autant d’agrégats poétiques, les délicates sculptures de Charles Long voient s’accumuler papier mâché, plâtre, fragments de plastique et sédiments en provenance d’une rivière (Untitled, 2007). Tandis que Ruben Ochoa opte pour plus de brutalité dans sa belle structure de béton et de métal évoquant la rupture (An Ideal Disjuncture, 2008). L’une des rares envolées franches de l’exposition, au goût râpeux mais pas désagréable.

WHITNEY BIENNIAL 2008

Jusqu’au 1er juin, Whitney Museum of American Art, 945, Madison Avenue, New York, tél. 1 212 570 3600, www.whitney.org. Catalogue, éd. Whitney Museum, 288 p., 45 dollars (env. 29 euros), ISBN 978-0-300-13689-0.

Biennale du Whitney

Commissaires : Henriette Huldisch, assistant curator, Whitney Museum ; Shamim M. Momin, associate curator, Whitney Museum
- Nombre d’artistes : 81

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Une biennale « low profile »

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