Le chaînon manquant

Retour sur la découverte à Rome de fresques du XIIIe siècle

Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2000 - 763 mots

Au monastère des Quatre-Saints-Couronnés, qui dresse sa silhouette fortifiée sur la colline du Celio, à Rome, ont été découvertes il y a deux ans d’importantes fresques du XIIIe siècle. Leur étude, toujours en cours, est riche d’enseignements sur la peinture romaine de l’époque gothique, dont les vestiges demeurent rares.

ROME (de notre correspondante) - Il est encore trop tôt pour mesurer pleinement la portée de la découverte effectuée il y a deux ans dans l’ensemble ecclésiastique et conventuel des Quatre-Saints-Couronnés, un monument peu connu dont l’histoire commence au IVe siècle. Probablement conçu à l’origine et érigé comme une simple salle destinée aux fidèles, il a été transformé au milieu du IXe siècle, par le pape Léon IV, en une importante basilique. L’historienne de l’art Andreina Draghi dirige la restauration du cycle de fresques qui a miraculeusement émergé de l’ombre. “C’est un témoignage fondamental, dont on avait perdu toute mémoire historique, qui vient s’ajouter à la difficile reconstitution de cette école picturale romaine de l’époque gothique, certainement étouffée par les remaniements de la Renaissance et du Baroque”.

Les campagnes de restauration ininterrompues entamées dès 1985 par la Surintendance des biens architecturaux avaient déjà, à l’époque, conduit à d’importantes découvertes : deux citernes médiévales pour recueillir l’eau de pluie et des restes de “petits tubes” d’époque romaine qui prouveraient l’existence d’un complexe thermal attenant à la villa impériale. Plus tard, en 1996, des découvertes majeures sont venues modifier l’image historique du fortin surélevé et muni de tours qu’offrent toutes les vues anciennes du monastère des Quatre-Saints-Couronnés. En fait, comme l’explique l’architecte Giuseppina Filippi, “nous devons considérer qu’au IXe siècle, le massif beffroi à l’entrée, un élément typologique à caractère plus défensif qu’ecclésiastique, était complètement recouvert d’un appareil décoratif en enduit polychrome, supprimé par les transformations architectoniques ultérieures”. Au XIe siècle, les papes font du monastère des Quatre-Saints-Couronnés une résidence temporaire : grâce à l’adjonction de fortifications, il est plus sûr et moins exposé que le palais du Latran aux attaques des seigneurs romains insoumis.

C’est au milieu du XIIIe siècle que sont entreprises les transformations les plus importantes, couronnées par la réalisation des fresques des “Mois”. En 1246, Stefano Conti, vicaire du Pape Innocent IV, intervient sur toute l’aile nord, aménageant deux vastes salons à chaque étage. Au rez-de-chaussée, l’Oratoire de saint Sylvestre est décoré de fresques à connotations “politiques” s’inspirant de la vie de Constantin, de même qu’à l’étage supérieur, le salon dont les fresques portent la marque d’artistes certainement plus doués. En effet, comme l’explique Andreina Draghi, “les fresques du cycle de saint Sylvestre ne semblent avoir en commun avec celles de l’étage supérieur (même si elles se suivent chronologiquement) que le sens “politique”, car leur style est très éloigné”. Autant les peintures consacrées au pape Sylvestre sont didactiques, autant celles du second salon sont d’une incomparable vivacité et d’un naturalisme extraordinaire. L’absence de repeints a livré, pratiquement en intégralité, un système décoratif étonnant par la richesse de son répertoire, la virtuosité de l’agencement des figures, l’étendue des références iconographiques et la qualité du style. À l’intérieur d’arcs composés de dauphins dont les queues s’entrelacent, prend place une représentation des douze mois de l’année. Les activités de l’homme liées à l’écoulement du temps et des saisons sont représentées avec une imagination et une richesse de détails qui apportent quantité d’informations sur la vie quotidienne.

Des peintres non identifiés
Les nombreuses réminiscences iconographiques, dérivant aussi bien de l’Antiquité classique que de l’héritage byzantin, témoignent d’une parfaite assimilation de la culture figurative précédente. La maîtrise de l’espace et de l’anatomie révélée par les illustrations et les détails de l’architecture en perspective est totale, au point de relever du miracle, en l’absence de tout élément de comparaison. En somme, il n’est pas exagéré de définir ce cycle comme le chaînon manquant pour mieux comprendre la grande qualité de la peinture de “l’école romaine” au milieu du XIIIe siècle.

En attendant que soit achevé par la restauratrice Francesca Matera le méticuleux travail de nettoyage du badigeon des parois restantes (encore 10 % de l’ensemble), Andreina Draghi identifie au moins quatre personnalités artistiques différentes. L’une exprime avec un grand ressaut plastique les membres et la vivacité de l’expression ; l’autre donne aux visages une expression très humaine d’un doux pathétisme ; la troisième module savamment les clairs-obscurs ; enfin, la dernière “grave” les formes de façon plus expressionniste. Parmi elles émergent au moins deux très grands peintres qu’il reste à identifier. Outre la qualité des fresques, cette “découverte” a permis de localiser un siège pontifical de représentation, en cette époque tourmentée par la lutte entre le Pape et l’Empereur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°97 du 21 janvier 2000, avec le titre suivant : Le chaînon manquant

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