Une plaie jamais cicatrisée

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2000 - 324 mots

En autopsiant la Vénus de Botticelli, Georges Didi-Huberman démontre l’impureté de l’humanisme florentin et continue de réécrire l’histoire de l’art à travers le prisme de Georges Bataille.

Quelle femme pourrait être plus pure que la Vénus de Botticelli ? D’une blancheur marmoréenne et fraîchement sortie de sa coquille, la jeune déesse est pourtant enfantée, comme le décrit Politien dans ses Stances, dans les remous du sang, du sperme et de l’écume, consécutifs à la castration du Ciel. Bâti sur une série d’antagonismes, tels que nu et pornographie ou beauté et cruauté, le dernier ouvrage de Georges Didi-Huberman tente littéralement de “faire la peau” à la pureté supposée de l’humanisme florentin, le dépeçant jusqu’à faire émerger ses entrailles les plus fielleuses. Usant de la dialectique forme/ informe largement développée dans ses précédents ouvrages, l’auteur prend appui sur les quatre panneaux de l’Histoire de Nastagio degli Onesti, peinte quelques années avant la Naissance de Vénus par Botticelli, pour dénouer le “tressage, déconcertant mais essentiel de la nudité, du rêve et de la cruauté”. Figurant un conte du Décaméron de Boccace, l’artiste y décrit l’histoire d’un amoureux malheureux, condamné à extraire éternellement les viscères de la femme insensible à ses avances.

Sous le patronage croisé de Lacan et Bataille – désormais habituel chez Didi-Huberman –, l’historien de l’art révèle alors l’ambiguïté de la nudité, démontrant que “plus grande est la beauté du devant, plus profonde est la souillure du dedans”. Proche d’un cauchemar éveillé, l’ouvrage glisse alors progressivement vers l’horreur séduisante des cires anatomiques italiennes du XVIIIe siècle, telle la Vénus des médecins, qui, placenta à l’air, conserve son collier de perles. À tout seigneur, tout honneur, la conclusion revient au marquis de Sade, dont les souvenirs d’Italie mêlent marbres antiques et catalogue des “jolies femmes à Florence”. Juliette, son héroïne, ne dit-elle pas qu’“aucun peuple n’a raffiné le meurtre comme les Italiens” ?

- Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus, éditions Gallimard, 150 p., 155 F. ISBN 2-07-0787-20-X.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°97 du 21 janvier 2000, avec le titre suivant : Une plaie jamais cicatrisée

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