Musée

Beaubourg a pris le temps de sa réouverture

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2000 - 1073 mots

PARIS

Quelques jours après le franchissement du cap symbolique de l’an 2000, le Centre Georges Pompidou consacre sa grande exposition de réouverture à la question du temps, vu à travers les âges et les disciplines. Œuvres d’art et objets scientifiques se côtoient dans un univers feutré agrémenté de musique, pour réaffirmer, après vingt-sept mois de travaux, la fonction interdisciplinaire de ce vaisseau unique.

PARIS - Une semaine seulement après sa réouverture, le Centre Georges Pompidou flambant neuf a encore un temps suspendu ses activités, bloqué par une grève “d’une certaine catégorie de personnel”, selon la formule consacrée. Déjà, depuis quelques semaines, les syndicats CGT, CFDT et FO demandaient l’ouverture de négociation sur les conditions de travail : grille des emplois et statut, horaires, situation des vacataires, sous-traitance de services. De plus, les syndicats estimaient que la situation du personnel s’était aggravée depuis la réouverture du Centre. Le conflit, qui s’est prolongé pendant trois jours, a empêché l’inauguration officielle des installations rénovées par le président de la République, et la soirée que devait donner, le 12 janvier, Suez Lyonnaise, mécène de l’exposition “Le temps, vite”, dont le vernissage a lui aussi été perturbé. Finalement, un protocole d’accord a été signé par les trois syndicats, mettant un terme à la grève et permettant à l’exposition d’ouvrir comme prévu au public le 13 janvier.

Le Centre Georges Pompidou nous a habitué aux grandes manifestations interdisciplinaires, puisant dans le vaste champ de compétences des professionnels réunis dans cette structure unique différents points de vue, regards, connaissances et énergies. Pour sa réouverture, le Centre réaffirme ce choix en proposant “Le Temps, vite”, une exposition circonstancielle qui trouve son fondement à la fois dans la rigueur et le hasard des chiffres, dans ce fameux “passage de l’an 2000” que nous venons de vivre. Conçue par le philosophe et critique d’art Daniel Soutif, elle nous invite à un parcours tout en mesure du temps, puisque si l’on en proposait une modélisation mathématique, c’est-à-dire si l’on plaçait par convention chaque pièce dans un repère orthonormé dans lequel l’axe des abscisses représenterait les années et l’axe des ordonnées les disciplines, les œuvres viendraient très largement couvrir le graphique, de part et d’autre des axes. La métaphore scientifique n’est pas fortuite, tant l’histoire des techniques de mesure du temps joue ici un rôle central, jusqu’à constituer le squelette de l’exposition. Cette histoire pourrait ainsi débuter avec un extraordinaire os gravé du Paléolithique supérieur, vieux de plus de 35 000 ans et sur lequel se décline un calendrier lunaire ponctué par soixante-neuf étapes. Elle pourrait également trouver un certain accomplissement, pour la précision de la mesure, dans l’étalon atomique commercial à jet de césium Hewlett Packard, qui permet de définir avec une grande précision la seconde, soit, pour les puristes, “la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyper-fins de l’état fondamental de l’atome césium 133”.

“Le Temps, vite” est construit autour de treize sections, à l’exemple du “Temps, le ciel”, des “Calendriers”, de “La mesure du temps”, du “Temps travaillé”, du “Temps libre”... À chaque étape ont été installés instruments, documents, extraits sonores ou de films, œuvres d’art, qui viennent tour à tour éclairer les thématiques définies. Les créations des artistes n’ont pas été privilégiées, loin de là. Si certains pourront le regretter, ce parti pris vient justement rappeler que le Centre Georges Pompidou ne se réduit pas seulement au Musée national d’art moderne. Il ne s’agit pas ici d’une grande exposition d’art, mais d’une réflexion dans laquelle viennent s’inscrire les propositions des artistes, au même titre que celles des musiciens, des scientifiques, des romanciers… L’une des seules salles qui propose un accrochage dense d’œuvres est celle consacrée à l’identité, avec de multiples autoportraits par Alighiero e Boetti, Agnès Varda, Giuseppe Penone, Florence Henri ou Michael Snow, qui présente ici Manifestation (Autorisation of 8 faces), une grande photographie en couleur spécialement commandée pour l’exposition. Plus loin, une section consacrée à la vanité réunit un ensemble de peintures du XVIIe siècle de Cornelis Norbertus Gijsbrechts, présentées sur des cimaises recouvertes d’un rouge lie de vin qui évoque davantage les salles XIXe du Musée du Louvre que les espaces du Centre Georges Pompidou. À ces natures mortes viennent répondre celles de Picasso ou de Richter. Une approche conceptuelle a été privilégiée dans le salon de lecture, où des écrivains contemporains – d’Olivier Cadiot à Nathalie Quintane ou Alain Robbe-Grillet, Alain Veinstein... – viennent lire en intégrale La Recherche du temps perdu de Proust. La musique est également omniprésente, avec des œuvres de Morton Feldman, Steve Reich, John Cage, des compositions que l’on peut parfois écouter dans d’astucieux caissons étanches.

Un objet de son temps
Mais, et comme souvent dans la scénographie de François Confino, le visiteur est appelé à prendre lui-même l’initiative. Au terme du parcours, il faut même crever un écran pour accéder aux derniers espaces. Le parti pris a été d’éliminer toute inscription dans les salles, jusqu’aux cartels qui viennent prendre place dans un petit livre distribué gratuitement à l’entrée de l’exposition. Seules les différentes sections sont indiquées, en reproduisant au sol un parcours manifestement labyrinthique. Il n’est pas sûr non plus que l’étroitesse de certains passages entre les parois de tissu garantisse une bonne circulation, en cas d’affluence. Mais, dans le “Temps, vite”, il faut aussi savoir prendre son temps.

Le visiteur pourra d’ailleurs le passer agréablement dans une bibliothèque réunissant une impressionnante bibliographie sur la question. Les photographies de Massimo Vitali nous emmènent sur les plages surpeuplées d’Italie, au chapitre “Temps libre”, alors que l’on peut méditer tout en suivant, en temps réel, sur une installation, le ballet des avions dans le ciel de la Région parisienne.
Complément de l’exposition, le catalogue a troqué son aspect traditionnel pour enfiler le costume plus “temporel” du quotidien, accompagné de ses multiples suppléments : magazine, supplément scientifique, recueil de fictions inédites d’écrivains contemporains, bande dessinée, et même calendrier de l’an 2000 de Claude Closky. Un objet résolument de son temps.

LE TEMPS, VITE, jusqu’au 17 avril, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, Galerie 1, niveau 6, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj 11h-21h. Catalogue sous blister comprenant un journal de 24 p., un magazine de 96 p., un supplément scientifique de 32 p., un recueil de fictions inédites d’écrivains contemporains, une bande dessinée de 32 p. et le calendrier de l’an 2000 de Claude Closky, 150 F. ISBN 2-84426-037-3.

La bonne société

À l’occasion de sa réouverture, le Musée national d’art moderne (Mnam) présente The Poetics Project de Mike Kelley et Tony Oursler, une installation entrée dans la collection grâce à un don – avec le soutien de la Westbury Foundation – de la Société des Amis du Musée national d’art moderne. Créée en 1903 et présidée par François Trèves, cette dernière regroupe quatre cents membres et dispose d’un budget annuel d’environ un million de francs. Elle apporte son concours au musée à de nombreux niveaux, de l’achat d’œuvres aux subventions pour les expositions ou les publications, en parfaite intelligence avec les conservateurs du Mnam. Pour la première fois, la Société des amis organise le 31 janvier, dans le nouveau restaurant du Centre, un grand dîner pour remercier tous les donateurs qui contribuent sans cesse à l’enrichissement des collections, une manière de rappeler le rôle essentiel des amateurs et collectionneurs privés dans la constitution du patrimoine de demain.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°97 du 21 janvier 2000, avec le titre suivant : Beaubourg a pris le temps de sa réouverture

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