Traversées, déplacements et mises en demeures

Daniel Buren s’offre sa première grande rétrospective à Villeneuve-d’Ascq et Villeurbanne

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 4 février 2000 - 1011 mots

À soixante et un ans, Daniel Buren, en pleine maîtrise de son art, prend le
temps du regard rétrospectif et dévoile des œuvres restées jusqu’à présent inédites. Tandis que le Musée d’art
moderne de Lille Métropole, à Villeneuve-d’Ascq, consacre une grande exposition à ses peintures de 1964 à 1999, l’Institut d’art contemporain
(IAC) de Villeurbanne propose un ensemble étonnant de cabanes éclatées,
inédites.

VILLEURBANNE/VILLENEUVE-D’ASCQ - Pour le grand public, l’œuvre de Daniel Buren évoque inévitablement les fameuses bandes verticales d’une largeur constante de 8,7 centimètres, médiatisées par l’interminable polémique autour des colonnes du Palais-Royal. Les expositions de Villeneuve-d’Ascq et de Villeurbanne montrent, chacune à leur manière, la richesse d’une démarche nourrie par trente-six ans de réflexion, et qui se joue de tous les stéréotypes.

La manifestation organisée dans le Nord répond en fait au souhait exprimé par l’artiste de porter un regard sur sa production picturale en prenant pour point de départ son engagement dans la peinture abstraite. Déjà en 1996, chez Renn Espace, à Paris, Buren avait dévoilé des pièces inédites des années soixante, dont certaines sont ici à nouveau présentées. L’exposition montre notamment le cheminement logique qui a conduit le jeune peintre à adopter son principe de bandes alternées, blanches et de couleur. Les premières salles, réservées à la collection Masurel qui constitue l’ossature du musée, rassemblent Les Formes : peintures (1977), déjà montrées au Centre Georges Pompidou, qui viennent prendre place directement, et de façon invisible, sous des travaux historiques, dans un questionnement réitéré sur la nature et le lieu de l’œuvre.

Le parcours s’articule ensuite autour de grandes séries, dans lesquelles on découvre d’abord un art influencé par la peinture abstraite américaine de Rothko, Kelly, de Kooning ou Newman. Une salle réunit des dessins, choisis parmi plus de trois cents, dont certains laissent  apparaître l’évocation de représentations anatomiques. Après avoir utilisé du papier (ensuite marouflé sur toile) ou des draps de lit dont on distingue encore aujourd’hui le liseré, Buren découvre en septembre 1965, au Marché Saint-Pierre, à Paris, du tissu rayé qui se rapproche des rayures qu’il réalise déjà avec des calques. L’exposition présente quelques grandes séries postérieures à cette découverte, comme les 120 peintures pour 15 tableaux (1967-1981), des toiles recouvertes de couches de peinture, ajoutées à raison d’une tous les ans pendant quinze ans. Est aussi dévoilée pour la première fois Interruption, une série de douze toiles dont une était envoyée chaque mois pendant un an, en 1970, au collectionneur Daled. Ce dernier s’était également engagé à n’acheter aucune autre œuvre durant cette période. Ces travaux ne cessent de rappeler combien la notion de temps est primordiale dans le travail de l’artiste, aussi bien dans la perception (spatiale) de ses créations que dans leur processus même de conception. Avant la présentation sous verre des stores peints pour le restaurant parisien “chez Georges”, Daniel Buren a conçu une étrange salle que l’on pourrait qualifier de “salle des refusées”, puisqu’elle regroupe, sans logique chronologique et dans un accrochage serré, les toiles qui n’ont pas pu prendre place dans le parcours classique de l’exposition.

De l’in situ au situé
Aux peintures de Villeneuve-d’Ascq font écho les cabanes éclatées de Villeurbanne. Après avoir un moment pensé réunir à l’IAC toutes les cabanes éclatées réalisées jusqu’à présent, Buren a finalement décidé de concevoir sur place treize nouvelles structures, une décision logique dans le contexte d’un centre d’art. Ainsi, au gré des salles, les constructions déclinent-elles les matériaux les plus divers (miroirs, acier galvanisé, matière plastique colorée, mélaminé blanc…), pour former un ensemble vraiment exceptionnel. Toutes répondent à des règles strictes édictés par l’artiste : “Elles sont placées au centre d’une pièce et de façon orthogonale ; les éléments qui se détachent de ce parallélépipède sont projetés sur le premier mur parallèle”. En vérité, ces constructions carrés comprennent une ouverture au centre de chacun de leur côté, tandis que les “portes” qui correspondent à ces ouvertures viennent prendre place sur les murs de la salle. L’adéquation de chacune des cabanes à son espace d’accueil en fait selon leur auteur, “des travaux situés”. “Quand, au début, j’utilisais le terme in situ, l’œuvre était vraiment faite in situ, visible sur place et seulement là, nous a déclaré Daniel Buren. Pour moi, c’était très restrictif, proche de ce que certains artistes de la même génération, en Amérique, appelaient le Site specific. En revanche, quand j’ai commencé ces cabanes, ce qui m’intéressait, c’était de savoir si l’on pouvait obtenir les mêmes résultat qu’avec un travail in situ, dans le sens dont je viens de parler, avec des choses qui ne sont pas définitivement liées au lieu dans lequel elles se font. Dans l’idée de situé, il faut suivre une règle très simple. Par définition, on peut prendre les éléments de l’œuvre et les remonter autre part”.

Ces questions sont également au centre de l’exposition organisée à Bruxelles, à l’espace Méridien, puisqu’y sont remis en situation ou en espace des travaux des années soixante à nos jours, notamment des peintures, verres éclatés, tissus rayés, installations et cabanes. Par ailleurs, Daniel Buren inaugure un nouveau lieu d’exposition dans cette ville, La Verrière, où il présente un travail in situ, “De la couleur, de la couleur”. Enfin, en attendant la publication des premiers volumes du catalogue raisonné de son œuvre, l’École des beaux-arts de Dunkerque réunit, jusqu’au 31 mars, les livres et éditions de Buren, un pan non négligeable de son travail.

- DANIEL BUREN, MISES EN DEMEURES, CABANES ÉCLATÉES, jusqu’au 21 mai, Institut d’art contemporain, 11 rue du Docteur-Dollard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, mercredi-dimanche 13h-18h.
- UNE TRAVERSÉE, PEINTURES 1964-1999, jusqu’au 14 mai, Musée d’art moderne Lille Métropole, 1 allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq, tél. 03 20 19 68 68, tjl sauf mardi 10h-18h.
- D’UN DÉPLACEMENT, L’AUTRE, TRAVAUX SITUÉS, jusqu’au 16 avril, Espace Méridien, Rue du Marché aux Herbes 116, Bruxelles, tél. 32 2 513 02 77. À paraître, le catalogue raisonné des œuvres de Daniel Buren.
- DE LA COULEUR, DE LA COULEUR, jusqu’au 26 février, La Verrière, 50 bd de Waterloo, Bruxelles, tél. 32 2 511 20 62, lundi-samedi 11h-17h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°98 du 4 février 2000, avec le titre suivant : Traversées, déplacements et mises en demeures

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