Apocalypse de papier

La fin des temps vue par les artistes au British Museum

Le Journal des Arts

Le 4 février 2000 - 560 mots

Saint Jean aurait certainement reconnu quelques-unes de ces visions dans les pages les plus sombres de l’histoire du XXe siècle, de la bombe atomique aux camps de la mort. Si la fin des temps nous a pour l’instant été épargnée, l’Apocalypse n’en continue pas moins de nourrir l’imaginaire occidental. Le British Museum évoque aujourd’hui, à travers une large sélection d’œuvres sur papier, la fortune de ce thème et les diverses interprétations qu’en ont donné les artistes depuis le Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine, sans se limiter aux illustrations du texte du Nouveau Testament annonçant le Jugement dernier de l’humanité et l’avènement du règne de Dieu.

LONDRES (de notre correspondant) - L’exposition débute avec des enluminures médiévales, et notamment une page étonnante d’un psautier de Winchester du mimieu du XIIe siècle, représentant une scène classique de la vision médiévale du Jugement dernier : une foule de rois et de reines, d’ecclésiastiques de tous rangs, de laïcs hommes et femmes, tourmentés par des démons et avalés par la gueule d’un diable monstrueux dont un ange serre les mâchoires pour l’éternité.

Les gravures sur bois réalisées en 1498 par Albrecht Dürer, alors âgé de vingt-six ans, ouvrent la section consacrée aux images des XVIe et XVIIe siècles. Les célèbres Quatre cavaliers de l’Apocalypse en font partie. Ces œuvres très fortes, d’inspiration sombre et cauchemardesque, sont en effet devenues un véritable prototype pour toute l’imagerie postérieure. La Réforme et la Contre-Réforme voient un nouveau développement dans l’imagerie du jugement et de la destruction, qui devait se prolonger, par-delà de l’Âge de la Foi, dans le siècle des Lumières : l’utilisation de ce thème à des fins polémiques.

Ce détournement, on le retrouve en partie dans la section “L’Apocalypse anglaise”, du XVIIe au XIXe siècle. On y voit les images de Gillray et consorts contre la France révolutionnaire, Napoléon ou encore le Prince Régent (le futur George IV). Les aquarelles et les gravures de William Blake qui, comme sa poésie, possèdent cette atmosphère de rêve à la fois étrange et familière, trouvent naturellement leur place au sein de cette période. Par comparaison, les estampes de John Martin et de Francis Danby sont d’une monumentalité et d’une force effrayantes. Elles ont inspiré les films de D.W. Griffith et Cecil B. DeMille, dont les noms apparaissent dans la dernière partie, “L’Apocalypse de Celluloïd”, qui relie cette iconographie au cinéma.

La théologie catholique affirme clairement que le Jugement dernier n’est ni arbitraire ni fortuit, qu’il n’émane pas d’un projet vengeur de Dieu. Plus simplement, il accomplit l’ensemble des choix que nous avons faits dans cette vie, la réalisation ultime et éternelle de nos options terrestres. Enfin, rejoignant l’esprit du Moyen Âge, “L’imagination apocalyptique : entre tradition et modernité” présente la cruauté de l’homme envers ses semblables comme le Jugement dernier porté sur l’humanité, sans l’intervention de Dieu. Des œuvres de Meidner, Grosz, Dix et Beckmann soulignent notre faillibilité. Presque toutes en noir et blanc, ces illustrations contrastent avec la vigueur et la couleur des figurines mexicaines en papier mâché de “L’Apocalypse atomique” du Jour des Morts exposées dans une salle voisine. Seraient-elles le reflet de la vision limitée et du regard éteint des Occidentaux, qu’il soit ou non de nature éternelle (sub ou sine specie aeternitatis) ?

- L’APOCALYPSE, jusqu’au 24 avril, British Museum, Great Russell Street, Londres, tél. 44 171 636 1555, tlj 10h-17h, dimanche 14h30-18h. Catalogue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°98 du 4 février 2000, avec le titre suivant : Apocalypse de papier

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