Restitutions

Spoliations : le cas de l’argenterie

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 4 février 2000 - 570 mots

Comment, en 1950, 400 000 pièces d’argenterie volées par les nazis ont-elles pu être mises en vente à New York ? Le système de restitution mis en place par les Alliés après 1945 peut constituer un début de réponse.

LONDRES - En 1950, à New York, 400 000 pièces d’argenterie volées en Allemagne ont été écoulées par les United Nations Galleries Inc. Le seul rapport de la société avec les Nations Unies tenait à “l’achat” des lots pour 2,5 millions de dollars à la United Nations International Refugee Organization. Une légitimité ainsi acquise, les Galleries, relayées par la presse, n’ont pas caché l’origine des pièces, et le Herald Tribune parlait de “la collection la plus importante au monde d’argenterie… volée par les armées nazies et cachée dans des mines de sel allemandes”. Dans les principales villes allemandes, des centres de regroupement des œuvres d’art (Art collecting points), gérés par des soldats alliés de formation artistique, ont été ouverts pour organiser le retour des œuvres volées découvertes en Allemagne. Mais, comme l’explique Willi Korte, juriste spécialisé dans la récupération des objets d’art pillés pendant la Seconde Guerre mondiale, “le rôle des Alliés n’était pas de rendre les œuvres à des particuliers mais à des pays. Si bien que tout ce qui exigeait des recherches détaillées, les arts décoratifs, les livres, les manuscrits, n’a pas reçu l’attention nécessaire”. En 1949, lorsque le Bureau du gouvernement militaire a quitté l’Allemagne, les centres ont été fermés. Les objets non restitués ont été remis au Treuhandverwaltung Kulturgüter, le service allemand chargé des biens culturels. Aujourd’hui, c’est le ministère des Finances qui détient les quelque 13 000 œuvres d’art constituant “la collection Linz”, destinée à l’origine au musée du Führer en Autriche. Cependant, certaines opérations réalisées à l’époque par les États-Unis et tolérées dans le climat de l’après-guerre, semblent aujourd’hui discutables. D’une part, comme le révèle une enquête du British Foreign Office de l’époque, au moins trois ventes aux enchères de biens issus des pillages nazis ont eu lieu, dont celle de 1950. Le rapport établissait que “les deux ventes précédentes ont également beaucoup inquiété les Français, qui doutent de la provenance des objets vendus et pensent qu’ils pourraient venir du centre de regroupement de Munich”. Les autorités américaines et les auctioneers ont tenté de se “dédouaner”, malgré la difficulté d’accéder aux informations sur les objets, en annonçant que “les anciens propriétaires capables d’identifier leurs biens pourront les récupérer sans frais”. Parallèlement, l’ambassade de Grande-Bretagne à Washington soupçonnait que certaines pièces de la vente provenaient du trésor du “train d’or hongrois”. Celui-ci était essentiellement constitué d’œuvres d’art appartenant à des Juifs, saisies par les Américains en Autriche en mai 1945, épisode sur lequel le ministère de la Défense américain continue d’enquêter.

L’histoire d’une nef en argent de la collection du baron Thyssen-Bornemisza résume bien l’incertitude qui entoure l’origine de certaines pièces d’arts décoratifs. Elle appartenait autrefois au Professeur Alfred Pringsheim, dont la collection a disparu après avoir été confisquée par les nazis pendant la Nuit de Cristal, en 1938. Elle aurait refait surface en 1945, avec les forces américaines, au centre de regroupement de Munich. Mais rien n’a été rendu aux héritiers. Le baron Thyssen a acquis sa nef en 1956, auprès d’un marchand new-yorkais ; elle aurait donc pu faire partie de la vente de 1950, mais aucun document ne subsiste. Faute de preuves, dans la majorité des cas, les héritiers ne pourront rien réclamer.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°98 du 4 février 2000, avec le titre suivant : Spoliations : le cas de l’argenterie

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