Du communisme au postmodernisme

Une sélection d’artistes des Pays de l’Est

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 18 février 2000 - 1032 mots

À côté d’artistes exposant régulièrement en Europe, comme Magdalena Abakanowicz, Braco Dimitrijevic, Krzysztof Wodiczko ou Roman Opalka, toute une génération d’artistes vivant dans les Pays de l’Est reste encore à découvrir. À l’occasion de leur première exposition à Paris, nous vous proposons une sélection de quelques-unes des démarches les plus significatives.

Miroslaw Balka
Miroslaw Balka, 42 ans, construit, dans une approche minérale et spirituelle, une œuvre qui prend ses racines dans la culture polonaise, dans ses coutumes, sa religion, et même sa littérature. Son discours s’inspire aussi très profondément de ses expériences et de sa personne, les dimensions de ses pièces, un élément essentiel de son travail, étant souvent issues de ses propres mensurations. Son langage plastique se décline à partir de matériaux clés qui renvoient à une histoire personnelle et collective : restes de savon, revêtements de sol usés, cendre, vieilles planches, sel, morceaux de moquette et acier s’unissent dans des œuvres toujours caractérisées par une grande rigueur formelle et une extrême précision d’exécution. La force et l’énergie qui se dégagent de ce travail ont très tôt été remarquées en Occident. Balka a ainsi exposé à “Aperto”, lors de la Biennale de Venise 1990, participé à la Documenta IX de Cassel ,en 1992, et présenté son travail dans le pavillon polonais de la Biennale de Venise, en 1993. L’artiste, qui vit à Otwock, près de Varsovie, a depuis bénéficié d’expositions dans les plus grandes institutions, de la Tate Gallery à Londres à la Renaissance Society de Chicago.

Nebojsa Seric-Soba
Nebojsa Seric-Soba vit à Sarajevo et fait partie de cette génération de jeunes Bosniaques – il a 32 ans – meurtris par la guerre qui a embrasé l’ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie. Même si ce conflit n’est pas le thème principal de sa réflexion, son travail n’en demeure pas moins marqué par la guerre, tant au niveau de son vocabulaire provocateur que de son jeu sur les informations vraies ou erronées. Sa réflexion replace dans un contexte personnel les événements historiques et politiques dont il a été lui-même, et malgré lui, l’auteur. Son œuvre, qui se décline aussi bien en photographie qu’à travers de grandes installations, questionne ce rapport entre la grande et la petite histoire.

Nebko Solakov
Le Bulgare Nebko Solakov réalise de grandes installations dans lesquelles il intègre un grand nombre de médiums et d’éléments – peintures, objets, dessins, textes, multimédia – dans le but sans cesse renouvelé de raconter des histoires grotesques. Il s’est ainsi intéressé à ses propres répulsions et attirances – The Supertitious Man (1994), The Paranoid Man (1997) –, ou au monde de l’art – The Collector of Art (1992-1994), Mr. Curator, please… (1994-1995). Dans A Life (Black and White), son récent projet exposé à la Galerie nationale du Jeu de Paume, à Paris, Solakov propose, sur le mode métaphorique, une réflexion sur le temps et la peinture, puisque, dans un work in progress, il repeint un espace en alternant des couches successives et superposées de blanc et de noir.

subREAL
subREAL est un groupe d’artistes roumains qui s’est constitué en 1990. Jusqu’en 1993, il réunissait Calin Dan, Iosif Király et Dan Mihaltianu. Dans le contexte d’ouverture politique et de plus grande liberté d’expression qui a suivi la chute du régime de Ceaucescu, subREAL a tourné le dos à l’art “réaliste” pour s’orienter vers des installations pauvres, le ready made et une performance souvent provocatrice. Le groupe s’est aussi intéressé, non sans humour, à l’image stéréotypée de la Roumanie vue de l’étranger, en déclinant, sur le modèle de Disneyland, un “Draculaland”. Dans une logique de déconstruction postmoderne, ses membres, qui vivent aujourd’hui à Bucarest et Amsterdam, s’attachent à la fois à leurs expériences en Roumanie et hors de leur pays pour développer une réflexion foncièrement sociologique.

Eglé Rakauskaité
La Lituanienne Eglé Rakauskaité, née en 1967, est très fortement marquée à la fois par la religion chrétienne teintée de souvenirs païens de son pays et par un certain questionnement sur l’identité féminine. Ainsi, l’une des ses premières actions a été de faire descendre dans la rue des jeunes filles habillées en communiantes, liées entre elles par de longues tresses. L’artiste s’est ensuite intéressée aux produits périssables, à la nature et à la nourriture. Dans une performance, elle s’est plongée dans cent cinquante kilos de miel, y prenant la position du fœtus et utilisant un tuyau d’aspirateur en guise de cordon ombilical. Eglé Rakauskaité a également réalisé une installation comprenant mille vingt-cinq crucifix en chocolat, une façon bien à elle de lier les passions.

Róza El-Hassan
Róza El-Hassan, Hongroise d’origine turque  travaillant à Budapest, appartient à cette génération de jeunes artistes qui manient de nombreux supports, de la photographie aux ready made et aux grandes installations. Cette jeune femme de 34 ans travaille à partir d’objets dont elle questionne à la fois la fonction “pratique” et la charge poétique qu’ils véhiculent, pour procéder à de subtils détournements. Procédant par petites touches et en décalages sensibles, Róza El-Hassan propose un art mystérieux et méditatif, métaphorique et poétique.

Inspection Herméneutique Médicale
La création en Russie du groupe Inspection Herméneutique Médicale, en 1987, est l’un des événements les plus marquants de la scène moscovite de la fin des années quatre-vingt. Le choix de son appellation n’est pas un hasard : “On peut comparer l’avant-gardisme des années vingt et trente à un combat de guerriers de grande envergure, a écrit le collectif. Le modernisme qui a suivi ressemble à une activité des services secrets. Le postmodernisme, lui, est du domaine du ministère de la Santé publique”. L’Herméneutique Médicale, qui n’agit pas seulement dans le cercle de l’art contemporain, s’aventure aussi dans l’écrit et la littérature. Les membres s’inspirent de textes destinés à la jeunesse, comme Mary Poppins ou Alice au Pays des merveilles. De plus, leurs installations comprennent souvent des objets utilisés en médecine.

A VOIR

- L’AUTRE MOITIÉ DE L’EUROPE, 4 volets jusqu’au 21 juin, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75001 Paris, tél. 01 47 03 12 50.
- HERMÉNEUTIQUE MÉDICALE, 16 mai-16 juillet, École nationale supérieure des beaux-arts, 13 quai Malaquais, 75006 Paris, tél. 01 47 03 50 00.
- LE FOU DÉDOUBLÉ, 10 juin-1er octobre, château d’Oiron, 10 rue du Château, 79100 Oiron, tél. 05 49 96 51 25.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°99 du 18 février 2000, avec le titre suivant : Du communisme au postmodernisme

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