Kandinsky, peintre russe ?

La fondation Gianadda le confronte à ses compatriotes

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 18 février 2000 - 673 mots

En replaçant les vingt premières années de l’œuvre de Kandinsky dans l’histoire de la peinture russe du début du siècle, la Fondation Pierre Gianadda offre un panorama éclectique de plus d’une centaine de pièces, ponctué de chefs-d’œuvre du peintre et de ses contemporains. Mais l’exposition thématique, desservie par un lieu plus propice aux monographies, ne dévoile qu’à moitié les rapports entre Kandinsky et l’art de son pays natal.

MARTIGNY - Kandinsky, peintre russe ? Nombre d’œuvres présentées à Martigny répondent par leur simple provenance à cette interrogation : aujourd’hui dans les collections de la Galerie nationale Tretiakov – le Musée des artistes russes –, ces peintures étaient pourtant autrefois conservées par le Musée national du nouvel art occidental de Moscou. Élevé dans un milieu moscovite où la culture et la langue allemande jouent un rôle essentiel, “Russe de Munich”, affairé aux réformes artistiques de son pays pendant la Révolution, puis enseignant au Bauhaus avant de rejoindre la France, Kandinsky revêt habituellement les habits d’un “citoyen du monde”, initiateur d’une abstraction internationale. L’apport de la culture russe dans son œuvre est pourtant prédominant, comme le prouve une correspondance de 1910 adressée au peintre Boris Isaakovitch : “La peinture russe donne la primauté à la source spirituelle et accorde toujours plus d’importance au comment, au détriment du quoi. C’est pourquoi elle est tellement vitale aujourd’hui et pour les temps à venir.” Propos que le choix de la langue russe pour rédiger, la même année, Du spirituel dans l’art ne peut que confirmer. De son départ pour l’Académie des beaux-arts de Munich, en 1900, jusqu’en 1921, date à laquelle il quitte définitivement la Russie, Kandinsky ne cessera d’exposer dans sa patrie et d’y séjourner fréquemment.

Avant-gardes et iconographie traditionnelle
À travers 140 œuvres prêtées par la Galerie Tretiakov, le Musée Pouchkine à Moscou, l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, les musées d’Astrakhan, Krasnodar, Nijni-Novgorod et Toula, celui d’Erevan en Arménie et des collectionneurs privés, la Fondation Pierre Gianadda entend explorer ces rapports féconds en confrontant Kandinsky à ses compatriotes lors des vingt premières années de sa carrière. La présence du Port d’Odessa, une petite huile de facture impressionniste exécutée à la fin des années 1890, rappelle l’importance de la peinture française dans sa formation, ainsi que pour beaucoup de ses contemporains, tels les membres de l’association Mir Iskousstva, dont Alexandre Benois et son Parterre d’eau à Versailles (1905). L’iconographie traditionnelle russe revêt, elle aussi, un caractère primordial. Elle se mêle aux innovations formelles du Fauvisme et de l’Expressionnisme dans Saint Georges le Victorieux de Kandinsky (1914-1915) ou, d’une manière comparable, chez Natalia Gontcharova et son Paon sous le soleil éclatant (1911). Membre fondatrice, avec son époux Mikhail Larionov, du “Valet de Carreau”, le groupe avec lequel Kandinsky exposera dans les années 1910, celle-ci parviendra quelques années plus tard à l’abstraction sous la bannière du Rayonnisme, mouvement dont malheureusement aucune toile significative n’est exposée à Martigny.

Du symbolisme du Saint Suaire de Malevitch à la Composition 86 constructiviste de Rodtchenko, en passant par le tonitruant Portrait du marteleur de chant, le futuriste Vassili Kamenski de David Bourliouk, le parcours chronologique dans la Russie du premier quart du vingtième siècle offre de nombreuses pièces marquantes et autant d’occasions d’admirer des œuvres rarement visibles en Europe. Mais, assujettie à un espace quadrangulaire peu propice, l’exposition ne parvient pas à les confronter au travail de Kandinsky. Accrochées sur une même cimaise, les Vues de Murnau et Improvisations souffrent de ne pas être mêlées physiquement à la production picturale des contemporains. Prenant le parti d’un examen attentif de ces relations, le catalogue, fort documenté, se révèle pourtant être une somme sur le sujet. Le face à face de Composition VI et Composition VII (1913), deux des premières grandes toiles abstraites du peintre, au centre d’un panorama éclectique des avant-gardes russes du début du siècle, ne suffit malheureusement pas à appuyer son propos.

- KANDINSKY ET LA RUSSIE, jusqu’au 12 juin, Fondation Pierre Gianadda, 59 rue du Forum, Martigny (Suisse), tél. 41 27 722 39 78, tlj 10h-18h. Catalogue, 336 p., 42 CHF, environ 170 francs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°99 du 18 février 2000, avec le titre suivant : Kandinsky, peintre russe ?

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