Tefaf Maastricht

L’art de la comparaison

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2008 - 1223 mots

Organisé du 7 au 16 mars, le salon a fait fi de la crise sans toutefois étaler beaucoup de chefs-d’œuvre.

MAASTRICHT - « Il n’y a pas de crise à Maastricht ». Ce cri du cœur du marchand Konrad O. Bernheimer (Munich-Londres) donnait le ton de la dernière édition de Tefaf. « Je suis aux anges, il y a eu un rush dès les premières heures », confirmait pour sa part Anthony Meyer (Paris). Certes, certains marchands comme les New-Yorkais Grassi Studio ou Peter Nagy affichaient un « correct, sans plus », invoquant une lenteur dans les affaires. Mais l’un dans l’autre, la foire a miraculeusement slalomé avec les défaillances en chaîne dans la finance, la chute continue du dollar et la flambée du baril de pétrole. « Le malaise économique fait que les gens veulent mettre leur argent dans du tangible et pas dans ce qui est volatil et peut se déprécier en quelques mois », observait le marchand Johnny Van Haeften (Londres). Celui-ci a vendu en fin de parcours une vingtaine d’œuvres, pour moitié à de nouveaux clients. Même les Américains, plombés par un dollar dépassant le cap des 1,50 euro, semblaient sortir de leurs réserves. Le portrait de groupe de Nicolas Maes proposé par Bernheimer, mélange étonnant d’expressions retenues et de vêtements joyeusement brossés, est ainsi parti outre-Atlantique. La très belle figure de Guanyin en bois chez Ben Janssens (Londres) a pris le même chemin. Yves Macaux (Bruxelles) avait quant à lui cédé son service à thé de Joseph Hoffmann quelques semaines avant la foire à un acheteur américain.
Toutefois, les bons résultats économiques du salon ne masquent pas un mal plus insidieux : la raréfaction. Malgré un très bon niveau général, Tefaf manquait cruellement de chefs-d’œuvre. Et ceux érigés comme tels déclenchaient parfois l’hilarité. Comment la galerie Dickinson (Londres) peut-elle décemment exiger 30 millions de dollars d’un Enfant à l’orange de Van Gogh, des plus croûteux ? La galerie, tout comme la famille suisse qui cherche depuis plusieurs années à s’en délester, devraient relire d’urgence Van Gogh, le suicidé de la société d’Antonin Artaud. Car dans sa vraie splendeur, l’artiste déchaîne des « feux grégeois, des bombes atomiques, dont l’angle de vision, à côté de toutes les autres peintures qui sévissaient à cette époque, eût été capable de déranger gravement le conformisme larvaire de la bourgeoisie second Empire. » Point de « bombe atomique » chez ce chérubin ! Il fallait aussi un certain culot de la part de la galerie Weiss (Londres) pour réclamer 6,5 millions d’euros d’un tableau que l’un de ses confrères avait préalablement acheté pour 337 750 livres sterling (451 245 euros) en 2000 chez Christie’s. La découverte que ce tableau avait figuré dans la collection du Roi d’Espagne justifie difficilement une telle culbute. D’autres toiles, bien plus saisissantes, venaient directement de ventes publiques récentes. C’est le cas du Vieil homme au crâne de Jan Lievens, adjugé pour 2,1 millions de livres (2,9 millions d’euros) en décembre dernier chez Christie’s et proposé pour 4,8 millions d’euros par Johnny Van Haeften. Ou d’une tête de Pier Francesco Mola, acquise pour 264 500 livres sterling dans la même vente et présentée pour 1,2 million d’euros par Robilant Voena (Milan). Mais peu importe la source, puisqu’il s’agit là d’œuvres insignes.

Faiblesse du moderne
En revanche, le visiteur était partagé entre lassitude et agacement dans le secteur XXe siècle, dénué globalement d’intérêt, à l’exception d’une Transparence de Picabia, déjà montrée par la galerie Cazeau-Béraudière (Paris) sur Art Basel Miami Beach. Difficile de ne pas bâiller devant la litanie de portraits mondains de Warhol ou le bric-à-brac invraisemblable de Richard Gray (Chicago-New York). Malgré l’atonie de cette section, Hauser & Wirth (Zurich-Londres) a bien tiré son épingle du jeu en vendant l’essentiel de son arsenal, notamment Magic Flame de Pollock et deux sculptures de Berlinde de Bruycker. Pari réussi aussi pour Haunch of Venison (Londres-Zurich-New York), laquelle a vendu d’entrée de jeu une vidéo de Bill Viola, Isolde’s Ascension. Tous les marchands ne respiraient toutefois pas le bonheur. Et pour cause ! « Le XXe siècle est à côté de ses pompes, à des niveaux de prix trop élevés, admettait Maurice Keitelman (Bruxelles). Toutes les autres disciplines ont bien travaillé. Ici, on est isolé du monde, sur une autre planète. » Impossible pourtant d’échapper dans une foire généraliste à une comparaison de prix – et a fortiori de qualité – avec l’art ancien. Pourquoi dépenser 350 000 euros pour un mauvais tableau de George Condo chez Richard Gray quand on peut emporter pour seulement 280 000 euros un Christ couronné d’épines de Liberale da Verona, un peintre magistral du XVe siècle chez les Sarti (Paris) ?
Malgré la faiblesse du moderne, Maastricht reste une foire leader. Une position de force qui a même généré des rumeurs sur une éventuelle implantation en Chine. « Nous n’avons absolument pas pour idée de franchiser la foire. Nous souhaitons au contraire faire venir les Chinois à nous. Vous affaiblissez un salon en l’exportant, insiste Ben Janssens. Les Chinois commencent à peine à découvrir le concept de la foire. Deux délégations sont venues lors du vernissage. Avant leur arrivée, ils nous avaient demandé d’envoyer la liste complète des œuvres, comme s’il s’agissait d’un catalogue de ventes publiques ! » Un partenariat avec une manifestation déjà existante en Asie n’est pas plus à l’ordre du jour. Quoi qu’il en soit, face à l’aura de plus en plus internationale de Maastricht, la Biennale des Antiquaires de Paris devra faire preuve de beaucoup d’imagination en septembre prochain. Ce, d’autant plus que certains marchands comme Éric Coatalem (Paris), Sarti ou Vervoordt ont décidé de ne pas y participer.

Comment montrer le XVIIIe siècle ?

Les marchands parisiens de mobilier XVIIIe ont voulu donner un coup de fouet à leur discipline en jouant, avec plus ou moins de bonheur, sur de nouveaux modes de présentation. Véritable clou de Tefaf, le stand des Kugel (Paris) misait sur le grand goût dans toute son extravagance : boiseries fastueuses datées vers 1710, pendule extravagante composée de trois cariatides soutenant le globe terrestre, dernière commande de Charles-Quint, orfèvrerie flamboyante, nature morte saisissante de Stoskopff... « C’est un exercice de style pour montrer qu’on peut avoir des objets extraordinaires sans tomber dans l’ostentation, expliquait Alexis Kugel. Il ne faut pas avoir peur du luxe. La clé du grand goût, c’est de traiter les chefs-d’œuvre avec légèreté, avoir la plus belle boiserie du monde et s’en servir comme d’un papier peint. » Néanmoins, pour parvenir à ce degré de perfection, encore faut-il un déploiement de faste que tous les antiquaires ne peuvent se permettre. D’autres avaient opté pour une présentation « contemporaine », souvent aussi peu naturelle qu’un mariage arrangé. Or, pour que la mayonnaise prenne, l’antiquaire doit avoir un esprit réellement moderne, comme dans le cas de Flore de Brantes (Paris). Celle-ci a ainsi habilement conjugué objets du Grand Siècle, Vasarely et sculptures de Zaha Hadid, sans paraître un instant saugrenue. Philippe Perrin (Paris) avait pris le parti louable de confier son stand aux bons soins du décorateur Jean de Piépape. Mais à l’arrivée, les meubles semblaient figés, comme mal à l’aise dans le décor cramoisi. Une autre galerie avait enfin pris le parti ridicule d’emprisonner les objets sous Plexiglas, comme des aliments sous vide. Rappelons que cette technique de conservation dans l’industrie agroalimentaire annihile le goût...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°278 du 28 mars 2008, avec le titre suivant : L’art de la comparaison

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