Démissions en série à la tête de Sotheby’s

Les enquêtes de la justice américaine et les poursuites engagées par les acheteurs ébranlent l’édifice

Le Journal des Arts

Le 3 mars 2000 - 888 mots

Les démissions du président et du directeur général de Sotheby’s surviennent alors que des poursuites sont engagées contre Sotheby’s et Christie’s, soupçonnées par la justice américaine d’avoir contrevenu à la loi antitrust en fixant de concert le montant de leurs commissions. L’Union européenne et deux administrations, britannique et australienne, ont entamé leurs propres enquêtes. Ces bouleversements interviennent à une période critique pour Sotheby’s, qui s’est lancée dans des investissements importants pour développer ses ventes sur l’Internet et réaménager son siège social new-yorkais.

NEW YORK et LONDRES (de nos correspondantes) - Les contrecoups de l’enquête menée depuis 1997 par la justice américaine sur Sotheby’s et Christie’s n’ont pas tardé. Le 21 février, Sotheby’s annonçait la démission d’Alfred Taubman et de Diana Brooks, respectivement président et directeur général de la société. Alfred Taubman, soixante-quinze ans, l’un des plus gros actionnaires de Sotheby’s avec 22,5 % des actions et 63,6 % des droits de vote, est remplacé par Michael Sovern, ancien président de l’Université Columbia, et Diana Brooks par William Ruprecht, responsable de Sotheby’s USA depuis 1994. La nouvelle direction de Christie’s (racheté par François Pinault en 1998) “a récemment pris connaissance d’informations se rapportant à l’enquête antitrust”, selon son avocat Jo Backer Laird, et les a transmises au gouvernement, bénéficiant ainsi d’une “amnistie conditionnelle”.

Rappelons les faits. En 1992, les deux maisons avaient, à six semaines d’intervalle, augmenté de 10 % à 15 % le montant de la commission prélevée sur les acheteurs. En 1995, Christie’s avait remplacé les 10 % de commission dus par les vendeurs par un barème dégressif de 2 à 10 %. Peu de temps après, Sotheby’s adoptait la même politique. À l’époque, les deux maisons avaient fait remarquer que cette flexibilité, qui vise à inciter les clients à leur confier leurs collections, avait toujours existé et que le nouveau système n’avait fait que rendre publique cette pratique.

Prise de cours par la rapidité de la réaction de Christie’s, Sotheby’s devrait être la plus affectée par cette enquête. Elle pourrait, si elle est reconnue coupable, avoir à payer deux fois la somme présumée de ses gains illégaux ou deux fois les pertes des victimes présumées. Résultat : le cours de l’action de Sotheby’s a chuté de façon spectaculaire en l’espace de six mois, passant de 46,5 à 17,7 dollars.

Une quarantaine d’acheteurs ont engagé des poursuites
Christie’s et Sotheby’s ont toutes deux été assignées en justice dans le cadre d’un recours collectif à l’initiative du collectionneur canadien Herbert Black, qui a acheté des sculptures, des meubles et du vin aux maisons de vente dans les années quatre-vingt-dix à des prix, selon lui, “exagérés” du fait d’ententes sur les commissions. Les poursuites engagées par Herbert Black en son propre nom et en celui d’autres acheteurs (le 21 février, le New York Times faisait état de 38 recours pour le seul Manhattan) invoque une violation du Sherman Antitrust Act : les maisons de vente se seraient entendues “pour préserver et maintenir leurs prix fixes”. Les demandeurs ont donc payé les objets plus cher que “sur un marché libre et concurrentiel”. Une plainte a aussi été déposée contre un collectif baptisé “John Does 1-10”, regroupant un ensemble de galeries et maisons de vente non identifiées qui auraient gonflé de façon similaire les prix pratiqués lors d’enchères et de transactions passées à New York. Les plaignants, qui ont déposé un recours collectif devant la cour fédérale du district sud de New York, réclament des dommages et intérêts et voudraient obtenir un droit de rétrocession sur les “gains illégaux, acquis malhonnêtement”.

Les demandeurs, que M. Black estime à un millier, veulent savoir si Sotheby’s et Christie’s sont responsables d’une entente sur les prix en violation des lois américaines antitrust et s’ils ont pour leur part subi de ce fait des dommages, et à quelle hauteur. Ils souhaiteraient également évaluer le montant des commissions qui auraient été payées sur un marché normalement concurrentiel.

Christie’s prend la main
L’Office of Fair Trading britannique, la Competition Commission australienne et  l’Union européenne ont entamé leurs propres enquêtes. Les articles 81 et 82 des traités de la Communauté économique européenne interdisent toute pratique qui empêche, restreint ou fausse la concurrence, ce qui équivaut à abuser d’une position dominante sur un marché. Si ces règles ont effectivement été enfreintes, les auctioneers pourraient être condamnés à payer une amende de 1 000 à 1 million d’euros, celle-ci ne pouvant dépasser “10 % du chiffre d’affaires de l’année en cours”. En 1994, la Commission Antitrust avait condamné dix-neuf sociétés du secteur de l’emballage carton à payer plus de 100 millions de livres sterling d’amendes pour de pareilles ententes intervenues pendant plusieurs années.

Pour parer à ces poursuites et se démarquer par rapport à sa rivale, Christie’s a annoncé le mois dernier la mise en place d’un nouveau barème de commissions et de primes, en partie applicable à partir du 31 mars (lire le JdA n° 99). Ces nouveaux tarifs – augmentation de la commission prélevée sur les acheteurs, qui passe à 17,5 % pour les transactions inférieures à 80 000 dollars ; baisse des taux applicables aux vendeurs – devraient la rendre plus “séduisante” aux yeux des grands collectionneurs cherchant à vendre leurs biens. Chez Sotheby’s, les commissions applicables aux vendeurs s’inscrivent dans une fourchette allant de 2 % à 20 %, tandis que la commission acheteur s’élève à 15 %.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°100 du 3 mars 2000, avec le titre suivant : Démissions en série à la tête de Sotheby’s

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