Au-dessus du volcan

Malgré les tensions, le Musée du Kosovo rouvre en partie

Le Journal des Arts

Le 31 mars 2000 - 729 mots

Conjurant les difficultés matérielles auxquelles la province est confrontée depuis la fin du conflit, le Musée du Kosovo, à Pristina, s’apprête à rouvrir en avril la Maison Emin Gjiku, complexe à vocation ethnologique. Rendu possible grâce au concours de l’association « Patrimoine sans frontières », cet événement symbolique ne doit pas occulter la nécessaire redéfinition du musée et de ses missions, encore prisonniers de logiques identitaires.

PARIS - Dans la nuit du 24 au 25 mars 1999, commençait la campagne de bombardements aériens de l’Otan sur la Yougoslavie. Un an plus tard, la province du Kosovo, toujours en proie aux tensions ethniques, a engagé tant bien que mal une reconstruction qui s’annonce longue et difficile. Dans la situation actuelle, la culture passe naturellement au second rang des préoccupations. Pourtant, le Musée du Kosovo s’apprête à rouvrir la Maison Emin Gjiku, un complexe ethnologique installé dans une ancienne demeure ottomane, grâce à la ténacité de son directeur, l’archéologue Kemajl Luci, soutenu par l’association Patrimoine sans frontières (PSF). En octobre 1999, lors d’une mission d’investigation sur les destructions patrimoniales liées au conflit, PSF avait été sollicitée pour offrir une assistance technique, avec pour objectif la réouverture rapide de l’institution, et une convention était signée entre les deux parties en novembre.

Le Musée du Kosovo, le plus important de la province, conserve plus de 24 000 objets d’ethnologie, d’archéologie, d’histoire et d’histoire naturelle, mais seule la Maison Emin Gjiku, ancienne demeure d’un marchand turc, était accessible au public avant la guerre. Le grand bâtiment récemment construit, qui devait accueillir les collections archéologiques, n’a en effet jamais été ouvert, et il n’existe aucun lieu pour présenter la plupart des objets à caractère ethnologique ne trouvant pas leur place dans la Maison Emin Gjiku. Si aucun des deux édifices n’a souffert du conflit, les plus belles pièces, qui se trouvaient à Belgrade au moment des événements, y sont toujours, et l’équipe du musée a été amputée de tous ses membres serbes. Par ailleurs, la Mission des Nations Unies pour l’administration provisoire du Kosovo (Minuk) ne peut offrir à l’institution les moyens de ses ambitions, somme toute modestes : en dehors des salaires, aucun budget de fonctionnement n’est prévu. Aussi le Musée du Kosovo place-t-il beaucoup d’espoir dans la convention signée avec PSF en novembre, lors d’une seconde mission, convention à laquelle s’est associé le Musée national des arts et traditions populaires (MNATP). “Comme il est impossible d’ouvrir les galeries du musée, nous avons proposé un travail d’inventaire et d’informatisation, explique Florence Pizzorni, conservatrice au MNATP. Nous souhaitons aussi accomplir un travail de formation sur ce que peut être un musée aujourd’hui. Dans les pays de l’Est, les musées n’ont toujours été que des conservatoires. Or, ils ont aussi une fonction d’animation culturelle. Nous devons leur montrer qu’un musée peut fonctionner même en l’absence des collections”. C’est le sens des opérations de sensibilisation au patrimoine bâti menées auprès des scolaires.

Il est d’autre part urgent de réfléchir à la définition et à la finalité de l’ethnologie et de l’archéologie, disciplines qui n’ont pas échappé aux tensions communautaires. “Depuis les quinze dernières années, constate Florence Pizzorni, le caractère archéologique des collections porte un message identitaire ; les disciplines universitaires sont ethniquement parlantes : les Albanais les plus radicaux se sont emparés de ce domaine afin de démontrer l’antériorité de leur présence sur ce territoire. De fait, les Slaves ne sont présents que depuis le XIVe siècle ; c’est pourquoi les Serbes insistent sur l’ethnologie. Mais les anthropologues formés en Yougoslavie restent prisonniers d’un schéma identitaire, lié au courant folkloriste. Aujourd’hui, de telles interprétations sont complètement erronées.” Infléchir ces modes de pensée à la fois dépassés et dangereux, c’est aussi l’enjeu du “désenclavement” du musée et de son ouverture sur l’Europe, part importante du projet de collaboration.

Association fondée en 1992 avec le soutien du ministère de la Culture, “Patrimoine sans frontières�? mène des opérations de sauvetage du patrimoine culturel dans les situations de danger ou de disparition imminente. Sa tâche première est d’alerter et d’informer, mais aussi de se mettre au service des organismes existants et de favoriser l’établissement d’un réseau pluridisciplinaire de professionnels. Une récente opération a permis de reconstruire, dans le Nord Cameroun, des cases-obus, type architectural caractéristique quasiment disparu, favorisant ainsi la transmission d’un savoir-faire traditionnel menacé.
- Patrimoine sans frontières, 61 rue François-Truffaut, 75012 Paris, tél. 01 40 02 05 90, info@patrimsf.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Au-dessus du volcan

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