Toute la lumière sur le Pont du Gard ?

Le Journal des Arts

Le 31 mars 2000 - 499 mots

Les ennemis du patrimoine sont-ils dans la maison ? Saisie d’un projet de mise en lumière du Pont du Gard par James Turrell, la direction de l’Architecture et du Patrimoine s’apprête à donner son accord, malgré l’atteinte portée à l’intégrité de l’ouvrage.

PARIS - Depuis 1995, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Gard conduit un projet de mise en valeur du Pont du Gard, partie visible de l’aqueduc construit au Ier siècle après J.-C. pour approvisionner Nîmes en eau. Dans le cadre de ce plan d’aménagement, évalué à 275 millions de francs, deux bâtiments d’accueil, invisibles du pont, ont notamment été construits par Jean-Paul Viguier. La CCI a souhaité que le Pont, propriété de l’État, soit mis en lumière. Sollicitée, la Mission An 2000 lui a soufflé le nom de l’artiste américain James Turrell (lire page 15). Cette “cerise sur le gâteau” pourrait se révéler bien indigeste, si l’on y regarde de plus près. En effet, l’entreprise suppose l’installation d’une câblerie importante et de nombreux spots pour éclairer d’une lumière colorée chaque intrados. Deux solutions étaient envisageables : laisser ce matériel apparent, solution certes peu esthétique, ou l’insérer dans la maçonnerie du Pont en mutilant le monument. Contre toute attente, la direction de l’Architecture et du Patrimoine (DAPA) a préféré la deuxième proposition, affirmant que seules les pierres posées au XIXe siècle seraient touchées. Non seulement il est douteux que des éléments antiques ne soient pas affectés par cette intervention, mais cette position fait peu de cas de la restauration conduite par l’architecte Charles Questel (1807-1888), auteur par ailleurs de l’église Saint-Paul de Nîmes (1838-1851). Cette opération, qui fut l’une des premières menées après l’établissement de la liste des monuments subventionnés en 1840, est aujourd’hui constitutive de l’histoire du Pont et de sa substance. Elle devrait donc être respectée, d’autant plus que le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO engage le gouvernement français à respecter l’intégrité du monument. Après le rejet à la quasi-unanimité du projet de flèches “provisoires” à Notre-Dame, François Barré, directeur de l’Architecture et du Patrimoine, n’a pas souhaité de passage en Commission supérieure des monuments historiques, se contentant d’une discussion informelle sans vote avec quelques membres de ladite commission. Si Michel Rebut-Sarda, directeur adjoint de la DAPA, précise qu’aucune décision n’a été prise, le directeur de la concession du Pont du Gard, Bernard Pouverelle, l’estime acquise et annonce le début imminent des travaux. Il est vrai que les enjeux commerciaux obligent à conclure rapidement pour être prêt début juin. Ce n’est pas la première fois que le ministère apporte son soutien à une opération dénaturant un monument historique ou son environnement (hôtels de Beauvais, de La Vaupalière…). Les défenseurs des interventions contemporaines ont beau jeu de caricaturer le débat en une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes, car nul ne conteste l’intérêt du travail de Turrell. Ce mauvais procès ne sert en fait qu’à détourner l’attention du problème essentiel, un étrange mépris du patrimoine par ceux-là même qui sont censés le protéger.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Toute la lumière sur le Pont du Gard ?

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