L’espace de Chen Zhen

L’artiste chinois abolit les frontières culturelles

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 14 avril 2000 - 619 mots

Invité par Cimaise & Portique, le centre d’art contemporain d’Albi, le Chinois Chen Zhen, qui travaille depuis une dizaine d’année à Paris, présente une grande installation où viennent étroitement s’unir cultures chinoise et occidentale, dans une atmosphère de calme et de détente qui confine, parfois, au repos éternel.

ALBI - La mondialisation, loin de se cantonner à la seule économie, déferle depuis quelques années sur la culture en général et sur les arts plastiques en particulier. Ainsi, la théorie du “global/local” est devenue l’une des références obligatoires pour toutes les grandes expositions internationales, à l’image de la dernière Biennale de Venise qui s’était largement ouverte à la création chinoise contemporaine. Chen Zhen y avait exposé une grande installation “interactive”, puisque le public était invité à taper sur cette œuvre circulaire afin de saturer l’espace de bruit. Il présente d’ailleurs à Albi une vidéo de Jue Chang - Fifty strokes to each tournée à Venise.

Pour son projet conçu spécialement pour Cimaise  & Portique, Chen Zhen s’est débarrassé formellement d’une “sinéitude” qui peut parfois passer pour folklorique, et propose une grande installation conçue à partir d’objets trouvés dans la région. Ici, ce n’est pas tant au niveau de l’esthétique que de la méthode et de la pensée que le Chinois inscrit sa démarche dans une tradition asiatique. L’artiste était déjà familier du lieu, puisqu’il l’a découvert voilà six ans. Pour préparer son intervention, il s’est isolé deux bonnes heures dans le grand espace, méditant, prenant des notes, et donnant finalement naissance à une réflexion qui s’articule autour de trois axes : la présence de l’eau (le lieu est accroché sur l’une des rives du Tarn) ; l’histoire et la richesse de cet ancien moulin ; le jardin en tant qu’espace de détente, de confort, de méditation et de repos mental. Comme autant de rochers agrémentant cet espace vert virtuel, viennent prendre place onze lits, tous différents, récupérés dans le département et faisant référence aux onze organes de la médecine chinoise, les cinq principaux – cœur, foie, poumons, rate, reins – et les six qui les accompagnent. Ici, matelas et sommiers ont toutefois disparu pour laisser place, sous l’eau, à différents objets évoquant tour à tour l’automobile, les bouteilles, la cuisine, les ordinateurs, les enfants, la bibliothèque, les vêtements, les avions, la télévision, les jouets ou les loisirs. Au-dessus de chacun des lits ont été installés des robinets qui dispensent des flux d’eau continus. Cette eau se gorge de “civilisation”, avant de s’échapper petit à petit des installations pour recouvrir le sol de l’espace – un comble quand on sait qu’une rénovation du bâtiment destinée à réduire l’humidité du lieu vient juste de s’achever ! Le son harmonieux de cet écoulement renforce l’atmosphère de méditation générale.

Un “lavage” métaphorique
En abandonnant un vocabulaire esthétique “chinois”, Chen Zhen ne renonce pas pour autant à la citation, en faisant notamment écho au travail d’un certain nombre de pointures de l’art contemporain français : Arman, Boltanski, Raynaud, Sarkis… À l’intérieur même des débats sur le multiculturalisme et sur l’in situ, il passe au crible de sa propre culture et de sa sensibilité le contexte culturel albigeois, proposant un “lavage” avec toute la charge métaphorique de ce terme. Il s’agit également de redéfinir la notion d’atelier, forcément nomade, et de multiplier les expériences qui prennent de nouvelles résonances dans ses créations plastiques. Ce cheminement intellectuel est dévoilé plus loin dans un ensemble de dessins, aquarelles et collages plus ouvertement “chinois”, tout comme la dernière pièce exposée, Nightly Imprecations, qui ne peut renier ses origines.

- CHEN ZHEN, JARDIN LAVOIR, jusqu’au 28 mai, Cimaise & Portique, Centre départemental d’art contemporain, Moulins albigeois, 41 rue Porta, 81000 Albi, tél. 05 63 47 14 23, tlj sauf mardi 13h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : L’espace de Chen Zhen

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