Ventes aux enchères

Jacques Perrin : « Internet : il est plus sage d’attendre »

Jacques Perrin ne croit pas à la vente de beaux objets d’art sur le Web

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2000 - 1257 mots

PARIS

Grand spécialiste de mobilier XVIIIe, Jacques Perrin est vice-président du Syndicat national des antiquaires, préside la Biennale internationale des antiquaires de Monaco et participe activement depuis plusieurs années aux grands salons internationaux. Dans cet entretien, il évoque l’évolution de son métier, salue l’ouverture du marché français aux maisons de vente étrangères et se montre sceptique à propos du développement des ventes sur l’Internet.

Le métier d’antiquaire se pratique-t-il de la même façon en l’an 2000 qu’en 1970 ou 1980 ?
Pour bien exercer un métier, il est nécessaire d’évoluer tous les trois ou cinq ans. Autrefois, il suffisait de changer tous les dix ou vingt ans. Aujourd’hui, le rythme s’est accéléré. Nous devons nous adapter à l’évolution du goût de notre clientèle qui a, elle aussi, changé. Il y a 25 ans, 50 % de ma clientèle était française et l’autre moitié étrangère. Beaucoup étaient issus des classes moyennes. Aujourd’hui, 10 % de mes clients sont français, 40 % européens et 50 % américains. Cette évolution s’explique par des considérations économiques : les classes moyennes ont souffert d’une baisse de leur pouvoir d’achat depuis le milieu des années soixante-dix. Heureusement pour nous, la raréfaction des collectionneurs français a été compensée par une nouvelle clientèle internationale. En outre, dans les années difficiles, vers 1993-1994, nous avons décidé de prendre les choses en main en partant à la recherche des clients étrangers et en participant à des salons d’antiquités. Nous sommes aujourd’hui présents au Winter Armory Show en janvier et à l’Armory Show en octobre à New York, à Maastricht en mars, à la Grosvenor Fair à Londres en juin. Nous participons aux Biennales de Paris et de Monaco, ainsi qu’au Pavillon des antiquaires, en mars. Toutes ces manifestations nous permettent de renouveler notre fichier clients.

La participation à ces multiples foires et salons a-t-elle modifié votre façon de travailler ?
Les salons d’antiquaires constituent les meilleurs concurrents des ventes publiques car ce sont des manifestations publiques. Les visiteurs entrent, regardent et achètent, le cas échéant. C’est un phénomène qui est désormais entré dans les mœurs. De grands capitaines d’industrie n’hésitent pas à s’y rendre. En deux heures, ils peuvent voir en un même lieu quelques-uns des plus beaux objets. Les salons sont cependant devenus trop nombreux. Certains devraient disparaître.

Présentez-vous les mêmes meubles à Maastricht et New York ?
Nous ne présentons pas à Maastricht de meubles en laque ni en bois doré, mais du mobilier en acajou. Le mobilier en laque et bois doré est, en revanche, très apprécié à New York, de même que les petites tables, les lustres et les appliques.

Quel pourcentage de votre chiffre d’affaires réalisez-vous sur les salons ?
Environ 50 %. Mais cela ne veut pas dire grand-chose, car beaucoup de transactions se concluent sur les salons avec des clients de la galerie, et en galerie avec des clients rencontrés sur des salons.

Vous arrive-t-il souvent de travailler avec des décorateurs ?
Ils sont les bienvenus. Ils sont très actifs quand l’économie est dynamique. Les Américains ont besoin de décorateurs car ils ne savent pas marier les objets d’art avec leurs décors. Pour nous, une affaire se conclut toujours plus facilement lorsqu’elle passe par l’intermédiaire d’un décorateur.

Ne risquez-vous pas, avec de tels partenaires, de voir s’estomper votre rôle d’expert au profit de celui moins gratifiant de fournisseur en œuvres d’art ?
Je n’ai pas cette impression. Mais il est vrai qu’un décorateur a besoin que l’objet qu’il achète ne grève pas tout son budget et se marie bien avec l’ensemble qu’il conçoit. Il a besoin de meubles et d’objets de dimensions précises, à même de s’insérer dans un décor. En réalité, la qualité d’un objet est secondaire pour un décorateur. Elle passe après son effet décoratif.

De quel œil voyez-vous l’organisation de ventes à Paris par les auctioneers, Sotheby’s, Christie’s et probablement Phillips ? Quel  impact auront-elles sur le marché parisien ?
Je suis très content qu’ils vendent en France car j’ai besoin, pour que mes affaires marchent bien, de travailler sur un marché actif. Plus il y aura de concurrence, plus il aura de clients. En outre, il n’y a jamais qu’un seul acquéreur pour un objet. Les deux ou trois personnes qui n’ont pu l’acheter conservent leur projet d’achat, qu’ils pourront réaliser chez un antiquaire parisien. Si un événement doit avoir lieu sur le marché de l’art occidental, nous préférons qu’il ait lieu en France plutôt que dans un pays voisin.

Quelles seront les implications de l’entrée en scène des maisons de vente étrangères sur le marché parisien ?
Les commissaires-priseurs français seront obligés de travailler, d’avoir des idées, sinon ils disparaîtront.

Pensez-vous que les marchands seront amenés à se regrouper ponctuellement ou durablement pour faire face à la concurrence des auctioneers ?
Aujourd’hui, deux groupes de marchands français réunissent leurs forces pour acheter. Nous nous sommes regroupés à trois pour acheter dernièrement, à New York, des pièces très onéreuses. Nous les avons tous trois revendues dans les deux ou trois mois, avec 20 % de bénéfice, à des clients qui les avaient vues en vente publique. Les estimations étaient beaucoup trop basses, ce qui a trompé les acheteurs potentiels. Des bruits couraient, évoquant l’existence de faux. C’est sans doute pour cette raison que ces particuliers ont préféré bénéficier de la garantie d’un marchand reconnu.

Les sites de vente sur le Net se multiplient. Pensez-vous que l’on pourra, dans un avenir proche, vendre des objets de grande valeur sur l’Internet ?
Je pense qu’il est plus sage d’attendre pour se prononcer. Vendre de beaux objets d’art sur l’Internet, très franchement, je n’y crois pas. Tout d’abord parce qu’un client jeune, chez nous, a une cinquantaine d’années et qu’il n’est pas rompu à ces nouvelles techniques. D’autre part, je ne vois pas comment on peut acheter un objet d’art cher sur l’Internet.

Mais si ces ventes bénéficient de la garantie d’experts compétents ?
L’expertise n’est pas le point fort des auctioneers. Ceux-ci sont recrutés jeunes. Quand, au bout de dix ou quinze ans, ils deviennent de bons spécialistes, ils partent, car ils ne sont pas rémunérés à leur juste valeur. Certains sont compétents, mais il faudrait qu’ils soient mieux rémunérés par les salles des ventes.

Vous n’avez donc pas signé d’accord avec Sotheby’s.com ?
Je n’ai pas signé car, dans ce système, c’est au vendeur et à personne d’autre que revient l’obligation de garantir l’objet. L’intermédiaire n’engage pas sa responsabilité et se contente d’encaisser une commission. En outre, si le client décide de restituer l’objet dans un délai de huit jours, rien n’indique sur quelle partie pèse la charge du paiement des frais de transport pour réexpédier le bien. Il y a beaucoup trop de risques de procédures judiciaires, particulièrement avec les clients américains. Enfin, il importait plus à Sotheby’s d’obtenir mon nom que ma marchandise.

Des marchands étrangers vont-ils s’installer à Paris, comme certains marchands français, notamment d’Art déco, l’ont fait à New York ?
Cela ne sert à rien d’ouvrir des succursales. Vous ne travaillez bien qu’à l’endroit où vous êtes présent physiquement. Les clients ont envie d’avoir un professionnel en face d’eux, et non un bon vendeur.

Comment a évolué le marché dans votre spécialité depuis quinze ans ?
Les prix ont doublé dans cet intervalle, et quelquefois même triplé pour le très haut de gamme. La marchandise moyenne vaut, en revanche, aujourd’hui le même prix qu’il y a dix ans.

Les meubles de très grande qualité se vendent-ils mieux à Paris, à New York ou à Londres ?
Franchement, je ne vois pas de différence.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°104 du 28 avril 2000, avec le titre suivant : Jacques Perrin : « Internet : il est plus sage d’attendre »

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