Un Musée de la religion pas très orthodoxe

Le Journal des Arts

Le 28 avril 2000 - 656 mots

Né sous le régime soviétique des dépouilles du patrimoine religieux russe, le Musée de la religion, à Saint-Pétersbourg, vient de reconnaître l’existence dans ses collections d’œuvres d’art pillées pendant la Seconde Guerre mondiale. S’y ajoute un contentieux relatif à des objets disparus de la cathédrale de Kazan, ancien siège de cette institution originale.

SAINT-PETERSBOURG (de notre correspondant) - Les responsables du Musée de la religion de Saint-Pétersbourg ont pour la première fois reconnu la présence dans leurs collections d’œuvres d’art pillées pendant la Seconde Guerre mondiale. Un ancien conservateur avait déjà laissé entendre que l’existence de ce butin de guerre “était un secret soigneusement gardé depuis longtemps”. Refusant de fournir des détails, son directeur, Stanislav Kuchinsky, a justifié la conduite du musée en invoquant “la complexité du problème”. Les œuvres, pour la plupart trouvées vers la fin de la guerre par les troupes soviétiques dans la ville allemande de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad), ne sont pas toutes de provenance allemande, mais appartenaient parfois à des butins de guerre amassés par les nazis dans des pays comme la Pologne. Ce sont des œuvres religieuses, mais M. Kuchinsky n’a précisé ni leur nature ni leur nombre. Pareille prudence s’explique en partie par la loi russe qui exige le retour à leurs propriétaires d’origine des œuvres d’art pillées ayant appartenu aux alliés des Soviétiques et aux victimes du régime nazi. Comme l’explique Pavel Khoroshilov, ministre-adjoint de la Culture, “la loi sur les biens culturels nous oblige à effectuer des recherches sur les butins de guerre et à les rendre publiques. C’est ce que nous sommes en train de faire. Mais c’est un travail de très longue haleine. Et tant que ne n’aurons pas analysé tout ce que nous possédons, il sera difficile de distinguer les œuvres qui appartenaient aux victimes de la guerre de celles qui viennent des nazis et de leurs alliés”. Selon lui, la majorité du butin de guerre russe appartenait autrefois aux Allemands.

Le Musée de la religion, dont la collection comprend 180 000 pièces, est le seul au monde consacré à l’étude de toutes les religions. Il achève un déménagement coûteux, quittant la cathédrale de Kazan – qui l’abritait depuis 1932 – pour un bâtiment du centre ville. Musée de la religion et de l’athéisme sous le régime soviétique, il est devenu le Musée de l’athéisme dans les années soixante, avant de recevoir son appellation actuelle au début des années quatre-vingt-dix. Dix ans de négociations ont abouti, en décembre 1999, à la signature d’un accord entre les responsables civils et religieux pour le retour de la cathédrale de Kazan à l’Église orthodoxe russe, après quatre-vingts ans passés sous le contrôle de l’État. L’argent nécessaire au déménagement du musée n’a été versé par le gouvernement fédéral qu’en 1998. L’organisme de conservation et de développement du centre historique de Saint-Pétersbourg a alors commencé la rénovation des nouveaux bâtiments, dont l’achèvement est prévu en 2001.

Autre sujet de litige, les objets qui ont disparu de la cathédrale de Kazan. Selon Dmitri Polov, conservateur en chef chargé de la restauration de l’édifice religieux, le musée emporte avec lui des objets rituels et décoratifs qui appartenaient à la cathédrale. “Parmi les objets qui manquent, deux bas-reliefs en bronze qui autrefois décoraient le mur proche de l’entrée principale”, indique-t-il. En revanche, il affirme s’être déjà battu avec succès pour obtenir d’autres pièces qu’il avait vues dans la collection et dont il connaissait la présence dans la cathédrale grâce à d’anciennes photographies. Ce que les responsables du musée nient vigoureusement, alléguant même qu’ils ont rendu à la cathédrale 216 pièces pillées par les bolcheviques. D’ailleurs, le directeur observe que “beaucoup de gens se plaisent à diaboliser notre musée, simplement parce qu’il s’appelait le Musée de l’athéisme, et considèrent notre collection comme composée d’objets pillés dans les églises, les synagogues, les mosquées, les temples bouddhistes, etc. Mais ils oublient que, sans le musée et son équipe, beaucoup de ces pièces auraient tout simplement disparu”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°104 du 28 avril 2000, avec le titre suivant : Un Musée de la religion pas très orthodoxe

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