Antiquaire

L’actualité vue par Nicolas Kugel

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2000 - 843 mots

Dernier maillon d’une chaîne de cinq générations d’antiquaires, Nicolas et Alexis Kugel dirigent depuis 1985, date de la disparition de leur père, la galerie du 279 rue Saint-Honoré, où ils présentent orfèvrerie et argenterie, meubles et sculptures précieuses allant de la Renaissance à la première moitié du XIXe siècle. Nicolas Kugel commente l’actualité.

Que pensez-vous de l’entrée au Louvre des arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques et du parti pris esthétique de la scénographie  ?
Je trouve cela très intéressant. C’est très bien de pouvoir proposer un regard particulier, c’est-à-dire subjectif. En réalité, la question est la suivante : un musée doit-il éduquer l’œil ou l’esprit ? On ne peut à chaque fois opposer les deux conceptions. Il est tout à fait possible de trouver un compromis. Il est très intéressant de présenter les pièces sous un angle purement esthétique, ce qui ouvre à un plus large public la véritable beauté de ces objets Quoi qu’il en soit, je suis favorable à ce que ces œuvres partent par la suite au Musée des arts et civilisations, quai Branly. Il y a, dans cette affaire, un défaut récurrent typiquement français qui fait que, au lieu de trancher, on accumule. Il s’agit de deux projets concurrents, et je trouve absurde que l’on approuve les deux pour contenter tout le monde. Il en va de même pour les trois musées scientifiques parisiens. Même si chacun d’entre eux propose une approche particulière, il est anormal que deux ou trois institutions présentent dans une seule ville les mêmes spécialités. La force de la France est de savoir faire de grands projets, mais sa faiblesse est de ne pas être capable faire le choix entre eux. Le projet du musée du quai Branly est intéressant, car il est la traduction d’une volonté politique d’offrir sur les anciennes colonies un regard différent de celui du Musée de l’Homme. La vision de la société a évolué, de même que la façon d’exposer les œuvres d’art. Nous avons aujourd’hui une vision réellement différente, plus artistique. Je ne comprends pas, en revanche, le sens du mot “arts premiers” ; il sous-entend qu’il y a des arts qui viennent en deuxième puis en troisième position, et ainsi de suite. Ce vocable “politiquement correct” va dans le sens d’un regard différent sur ces arts lointains. Je pense que la dénomination “arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques” est plus appropriée. Il y a derrière ce projet une véritable volonté politique, puisque c’est Jacques Chirac qui a souhaité que ces collections soient présentées au Louvre.

Dans ce domaine, une exposition récente vous a-t-elle particulièrement marqué ?
L’exposition du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie, “La mort n’en saura rien : reliques d’Europe et d’Océanie”, m’a bouleversé. On touche là à quelque chose de très profond pour l’humanité entière. La comparaison entre deux civilisations qui exploitent le même objet – le crâne humain – pour le transformer en objet esthétique représentant des conceptions différentes de la Mort était extraordinaire.

Le pré-rapport de la mission d’études sur la spoliation des Juifs de France, dite “mission Mattéoli”, recommandait de poursuivre les recherches avec l’appui des archives, des galeries et des commissaires-priseurs. Les antiquaires sont-ils prêts à apporter leur contribution ?
Nous sommes très sensibles à ces questions, mais nous n’avons pas attendu le rapport rendu par la mission Mattéoli pour nous en préoccuper. À Maastricht, l’Art Loss Register passe sur tous les stands pour s’assurer qu’aucune œuvre exposée ne figure sur la liste des objets volés pendant la Seconde Guerre mondiale. À titre plus personnel, nous avons été mandatés, mon frère et moi, par certaines familles juives afin de les aider à retrouver des objets volés.

Une commission parlementaire russe a reproché au Musée de l’Ermitage de ne pas percevoir suffisamment de recettes sur les œuvres prêtées à l’étranger (notre article en une). Que pensez-vous de cette politique consistant à prêter moyennant rétribution ?
Je ne suis pas contre le fait qu’il y ait des prêts payants. L’Ermitage est un grand musée, mais il est pauvre. Je pense qu’il est normal, ne serait-ce que par solidarité, que les musées qui lui empruntent des œuvres payent pour cela. Ses difficultés sont à l’image de ce qui se passe en Russie actuellement.

Vous n’avez pas participé aux deux dernières Biennales et ne participerez pas à la prochaine. Plusieurs autres grands marchands parisiens boudent la manifestation. Comment expliquer ces défections ?
Ariane Dandois ,Jean Marie Rossi et Maurice Segoura ont fait des efforts importants pour l’aménagement de leur galerie et estiment, comme nous, qu’elle leur permet de s’exprimer de façon plus ouverte que la Biennale. Cela n’empêchera pas cette manifestation d’être une grande réussite.
Nous ne participons qu’à une seule foire, celle de Maastricht. Son succès tient en partie à son statut de fondation et ses bénéfices sont toujours réinvestis pour en améliorer l’organisation. La Biennale, quant à elle, est une machine plus lourde pour les organisateurs et les exposants. Elle est montée par un syndicat, et ses profits sont utilisés non seulement pour en améliorer le fonctionnement mais aussi pour des activités syndicales.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°104 du 28 avril 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Nicolas Kugel

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