Restitutions : l’histoire reste inachevée

Le Journal des Arts

Le 28 avril 2000 - 790 mots

Le rapport Mattéoli souligne l’ampleur des restitutions d’œuvres d’art effectuées à l’issue de la guerre, mais relève aussi la « légèreté » avec laquelle l’administration française s’est débarrassée d’objets non réclamés. Cette synthèse ne met pas encore un terme aux recherches.

PARIS - “Nous ne sommes pas des justiciers, ni un tribunal”, a rappelé Ady Steg, vice-président de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France. Seule la recherche de la vérité a animé les travaux des historiens, dont l’ambition était “d’éclairer un double processus historique, celui de la spoliation et du pillage dont furent l’objet les biens des Juifs de France pendant l’Occupation ; celui de la restitution et de l’indemnisation dont ils furent ou non l’objet”. Le rapport, remis au Premier ministre par la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France après trois ans de recherches, souligne le rôle essentiel de la spoliation dans le processus conduisant à l’élimination des Juifs d’Europe. Les œuvres d’art ne représentent évidemment qu’une part minime des biens saisis, mais elles bénéficient incontestablement d’un “statut privilégié” : “Elles focalisent l’attention de l’opinion publique aujourd’hui comme elles avaient attisé les convoitises allemandes pendant la guerre et mobilisé les résistances du personnel des musées”, souligne le rapport. Sur leur restitution, le bilan dressé par la Mission est dual. D’une part, 45 441 des 61 233 objets rentrés en France ont été rendus à leurs propriétaires dans l’immédiat après-guerre. En revanche, “il est incontestable que les Domaines ont procédé à des ventes prématurées d’objets divers dont le montant s’est élevé à 96,12 millions de francs à la date du 15 juin 1953, somme évaluée à environ 100 millions de francs en septembre 1954”. La sélection des œuvres mises en vente fut conduite “rapidement et non sans légèreté”. “Le fait qu’une œuvre ait été spoliée ou non n’étant pas intervenu dans les critères de la Commission de choix, il est certain que des objets spoliés puis retrouvés en Allemagne ont ainsi été remis sur le marché, sans avoir été rendus à leurs propriétaires.” Et il ne s’agissait pas seulement d’objets de second rang, puisqu’on y trouvait quelques tableaux importants de Lancret, Van Ostade ou Corot.

Quant aux 2 143 œuvres confiées à la garde des musées nationaux, entre 1954 et 1996, elles n’ont fait l’objet d’aucune “recherche active”. Sous la pression de l’opinion, les investigations ont repris en 1996, permettant notamment de rendre une trentaine d’œuvres à des ayants droit de marchands ou de collectionneurs. Les historiens ont déjà mis en évidence plusieurs catégories au sein de cet ensemble.

163 œuvres ont été spoliées avec certitude, un nombre égal a été lavé de tout soupçon et 1 817 ne possèdent pas un historique complet dans la période étudiée ; 1 263 d’entre elles ont été achetées par des musées ou des dignitaires du Reich dans le commerce de l’art ou à des particuliers. “S’agit-il de ventes sous contrainte, de mise sur le marché d’œuvres spoliées ou d’achats “normaux” dans les conditions du marché ? Cette interrogation n’a pas encore reçu une réponse claire pour chacune de ces œuvres.” Afin d’assurer la poursuite des efforts, la Mission, dans ses recommandations finales, demande à la Direction des Musées de France (DMF) de remettre un rapport annuel au gouvernement sur l’état d’avancement des recherches, sur les progrès des restitutions et sur l’information du public. On peut toutefois s’interroger sur le rythme futur de ces investigations, dans la mesure où le contrat des chercheurs mis à la disposition de la DMF par la Mission prend fin en juin prochain. D’autre part, une des recommandations émises lors du second rapport d’étape (lire le JdA n° 77) semble être restée au stade du vœu pieux ; elle appelait les historiens à poursuivre leurs recherches dans les archives des galeries et des commissaires-priseurs, afin de reconstituer l’historique d’œuvres acquises sur le marché parisien sous l’Occupation. En revanche, une autre recommandation avait été fidèlement suivie d’effet : toutes les œuvres récupérées après la guerre, déposées dans les ministères, les ambassades et autres demeures de la République, sont revenues au Mobilier national.

Aujourd’hui, la Mission suggère d’intégrer aux collections nationales les œuvres et objets d’art dont on a la preuve qu’ils n’ont pas été pillés. Elle souhaiterait par ailleurs  de déposer quelques œuvres significatives au Musée d’Israël à Jérusalem, pour porter témoignage de la spoliation. Et attire à juste titre l’attention sur les quelque 40 000 œuvres déclarées spoliées qui ne sont jamais revenues en France. Les progrès récents dans la connaissance des pillages perpétrés d’abord par les nazis puis par les Soviétiques laissent à penser que nombre d’entre elles ont échoué en Russie. Le développement de la coopération internationale semble donc indispensable.

- Le rapport est disponible sur l’Internet : www.ladocfrancaise.gouv.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°104 du 28 avril 2000, avec le titre suivant : Restitutions : l’histoire reste inachevée

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