Patrimoine du XXe siècle

Un rêve égyptien

Le Journal des Arts

Le 12 mai 2000 - 633 mots

Art majeur du XXe siècle, le cinéma a plus souvent donné naissance à des constructions fonctionnelles qu’à une architecture créative. Toutefois, les années vingt et trente avaient vu fleurir quelques lieux fantastiques dont l’atmosphère exotique sonnait comme une promesse de rêve et d’évasion. Le Louxor, à Paris, était de ceux-là. Mutilé et fermé depuis 1979, il pourrait bientôt retrouver son lustre d’antan.

PARIS - C’était avant le temps des multiplexes, du son THX et du pop-corn. Lieux privilégiés du rêve et de l’évasion, les cinémas, dans une atmosphère de casino, offraient souvent aux spectateurs ébahis un spectacle total, sur l’écran et dans la salle. En ces années vingt et trente alors que le modernisme traquait l’ornement, des architectes n’hésitaient pas à mêler styles et époques dans un éclectisme sans limite, en regardant volontiers du côté de l’Orient. Construit en 1921 à l’angle du boulevard de Magenta et de celui de la Chapelle, le Louxor ressuscitait ainsi les faste d’une Égypte de fantaisie, dont seule la façade garde aujourd’hui le parfum, avec ses colonnes lotiformes, ses mosaïques à motifs de palmettes et de papyrus réalisées par un dénommé… Tibéri. D’ailleurs, “il doit à l’originalité de sa façade de n’avoir pas été rasé”, reconnaît Janine Christophe, présidente de l’association Histoire et vies du Xe arrondissement. En effet, depuis 1979, ses portes restent obstinément closes. Mais après des années d’indifférence, la renaissance du Louxor pourrait dépasser le stade du vœu pieux.

Acquis en 1980 par Fabien Ouaki, propriétaire des magasins Tati, le bâtiment avait été inscrit en 1981 à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, en même temps que le Rex et l’Eldorado, dans le cadre d’une campagne de protection thématique nationale. Le cas du Louxor mérite d’autant plus d’intérêt que très peu de cinémas ont fait l’objet d’une protection. En 1981, dans une note adressée au ministre de la Culture, l’inspecteur général Yves-Marie Froidevaux ne considérait-il pas que “nos cinémas, sauf quelques exceptions, n’ont pas enrichi notre patrimoine, et les noms des grands architectes ne se trouvent pas associés à ces réalisations, toujours médiocres et souvent de mauvais goût” ? Il est vrai que le nom de H. (Henri ? Hector ?) Ripey n’est pas passé à la postérité et que le style égyptisant de la salle n’a pas résisté à la rénovation de 1970. Toutefois, les qualités esthétiques de la façade ont sans doute motivé le refus du permis de démolir, en 1985. Depuis, rien à signaler, jusqu’à ce que la mairie de l’arrondissement se préoccupe récemment d’une possible remise en état. Jean-Pierre Pierre-Bloch, élu de l’arrondissement voisin, le XVIIIe, et adjoint au maire de Paris, s’est également intéressé au dossier. Regrettant “un déficit de salles dans Paris, notamment de petite taille”, il se félicite que le Louxor retrouve sa destination originale. Janine Christophe avait suggéré de le transformer en centre culturel intercommunautaire où seraient organisées des projections et des expositions, afin que le Louxor redevienne “un lieu de culture accessible à toutes les composantes de la société parisienne”. Le projet final devrait être sensiblement différent.

Après la signature d’une promesse de vente, en décembre dernier, le Louxor sera cédé prochainement à une société immobilière parisienne, Haussmannia. Son ambition est de rendre au Louxor sa vocation de salle de cinéma, de spectacle et de concert, mais en y ajoutant quelques fonctions propres à assurer une meilleure rentabilité : en sous-sol seront créés un studio d’enregistrement et des salles de répétition. “C’est un pari”, concède Sébastien Molina, de la société Haussmannia, car la rénovation, la remise aux normes et le réaménagement du cinéma, confiés à l’architecte Jean-Jacques Oury, nécessiteront un investissement assez lourd. Mais avec l’installation prochaine, sur le boulevard Barbès, d’un Virgin Megastore à la place de la BNP, la physionomie du quartier pourrait évoluer, pour le plus grand profit de ce lieu culturel unique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°105 du 12 mai 2000, avec le titre suivant : Un rêve égyptien

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