Royaume-Uni - Musée

La Tate Modern : beauté et brutalité

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 12 mai 2000 - 727 mots

Tiraillée entre l’art britannique et sa collection internationale d’art moderne et contemporain, la Tate Gallery a coupé la poire en deux : Millbank a conservé l’art britannique, et l’art du XXe siècle s’est installé sur l’autre rive de la Tamise, dans une ancienne centrale électrique réaménagée par Jacques Herzog et Pierre de Meuron. Empreint du minimalisme propre au duo helvétique, le bâtiment de la Tate Modern offre près de 34 000 m2, répartis sur sept niveaux, et un incroyable patio de 150 m de long mis en scène par une architecture moins simple qu’il n’y paraît.

La Tate Modern. © Photo MasterOfHisOwnDomain, 2008, CC BY-SA 3.0.
La Tate Modern.

Construite entre 1947 et 1963 par l’architecte Giles Gilbert Scott, la centrale électrique de Bankside représentait un véritable défi pour le cabinet d’architectes suisse Herzog & de Meuron, lauréat d’un concours international auquel participaient Frank Gehry, Tadao Ando et Renzo Piano. Traversés par le bloc monolithique du conduit de cheminée, les deux étages en verre construits au-dessus de la salle des chaudières resteront comme la marque de fabrique du duo. Avec cette réalisation, qui vient enrichir un cube de briques d’inspiration Art déco, le bâtiment affiche sa nouvelle identité. Ailleurs, les interventions de Jacques Herzog et de Pierre de Meuron sont limitées. Le bâtiment de Bankside a été réaménagé en trois zones distinctes : la salle des commandes, toujours utilisée par l’office régional de l’électricité ; le volume central, ancienne salle des turbines, qui regroupe l’entrée, la réception, la librairie et l’espace des sculptures ; et l’ancienne salle des chaudières, face à la Tamise, transformée en espace d’exposition sur sept niveaux, comprenant aussi un restaurant. Autre adjonction, une nouvelle passerelle au-dessus du fleuve, signée conjointement par Norman Foster et Anthony Caro, devrait être accessible au public le mois prochain.

Située sur la facade est du bâtiment, l’entrée principale mène le visiteur dans des couloirs de béton délibérément étroits jusqu’à la salle des turbines. Le hall dépouillé qui descend en pente douce vers l’espace des sculptures semble prolonger la rue. Seule une passerelle, proche d’un pont d’autoroute, occupe la salle des turbines. Elle divise l’espace en deux zones égales, respectivement réservées à l’entrée des visiteurs et aux commandes que le musée a passées à des artistes pour les cinq années à venir. Louise Bourgeois inaugure la série avec une paire de sculptures intitulées Toi et moi : I undo et Toi et Moi : I redo.

Brut et majestueux, l’espace de la salle des turbines a conservé sa couverture industrielle et ses armatures. Des escaliers métalliques permettent aux visiteurs d’accéder à la passerelle, puis de s’engager sur le parvis qui dessert les salles d’exposition aménagées dans la salle des chaudières. Des espaces de circulation, comportant escaliers et ascenseurs, assurent la liaison entre les salles ouest et est, et facilitent l’orientation à l’intérieur du bâtiment. Outre leur fonction utilitaire, ils offrent une vue sur la salle des turbines, par l’intermédiaire de caissons lumineux. Tout en éclairant la salle, les boîtes luminescentes rappellent, par leur format, la structure du toit.

Habillées de panneaux de verre poli, ces plates-formes d’observation forment un ensemble brillant qui marque la séparation entre les deux zones dans une dynamique théâtrale jouant sur les rapports observateur/observé. Le bâtiment est une “réalisation architecturale qui n’existe que par la participation de l’observateur”, déclarent d’ailleurs les architectes. Franche et presque fonctionnelle, cette architecture cache finalement des intentions complexes et amène un glissement des perceptions. Par contraste, les aménagements réalisés dans le reste du bâtiment, consacré aux salles d’exposition, paraissent faciles et évidents. Mais leur fonction est plus pratique qu’initiatique. Délibérément austères, ces espaces à éclairage zénithal contrastent avec la Clore Gallery, aile rajoutée à la Tate Britain et conçue par James Stirling dans les années quatre-vingt. Faussement naturelle, la lumière des plafonniers cache une réalité artificielle. Le manque de repères concernant l’orientation et le périmètre du bâtiment ne s’en trouve que renforcé.

Jacques Herzog et Pierre de Meuron aiment expliquer l’influence du cinéma d’Alfred Hitchcock sur leur travail : les apparences sont trompeuses, tout semble normal, et, soudain, un basculement révèle une dimension inattendue. Ici, la façade dévoile une étrange interaction entre la perception de l’espace et la matérialité, dans une oscillation entre théâtre et mondanité, faits et artifices, beauté et brutalité, honnêteté et laideur, liberté et aliénation.

- Tate Modern, 25 Sumner Street, Londres SE 1, tél. 44 171 887 8000, www.tate.org.uk, tlj 10h-18h, vendredi et samedi, 10h-22h. Métro Southwark (Jubilee Line

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°105 du 12 mai 2000, avec le titre suivant : La Tate Modern : beauté et brutalité

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