La « Beauté » sans silicone ?

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2000 - 706 mots

« La Beauté » a saisi Avignon. Pendant quatre mois, artistes et manifestations investissent la Cité des papes, capitale culturelle de l’Europe et fief de la Mission An 2000. Avec un budget total de 58 millions de francs, l’événement n’est pas exempt de maladresses. Rare réalisation destinée à survivre à la manifestation, la construction, sur un site classé, du Pavillon Gourmand, de Gaetano Pesce, fait les frais d’approximations malheureuses.

AVIGNON - “Aujourd’hui, il est nécessaire de dédramatiser, l’innovation rend nerveux, et la nouveauté provoque. Je suis déçu que le Pavillon ne soit pas prêt pour la visite du président de la République, mais il le sera peut-être pour la visite de Lionel Jospin, le 16 juin.” Gaetano Pesce ne désespère pas de voir ses cinq bâtiments construits sur le site du jardin des Doms. Alerté par René Pélisson, conseiller municipal Vert, le ministère de l’Environnement est intervenu auprès du préfet pour interrompre les travaux. “Je n’ai rien contre le projet, mais l’endroit ne s’y prête pas, il est indiqué comme inconstructible sur le plan d’occupation des sols. Je ne comprendrais pas que l’on commence à donner des passe-droits, d’autant que le parc est l’un des rares endroits boisés protégés de la ville”, explique l’élu. Au bord d’un lac artificiel, Gaetano Pesce souhaite élever une série de cinq bâtiments, un ensemble de 150 m2, “fragmentés pour s’insérer dans le site”, dont un pavillon de 30 m2, entièrement en silicone. Une première pour cette matière, “une des plus résistantes connues mais aussi souple, proche de la peau”, explique Pesce. Comme le polyuréthane, qui doit composer la loge des gardiens, le produit répond à l’aspect du rocher, bâti en fausse rocaille au XIXe siècle pour cacher le réservoir d’eau de la ville.

Même si l’utilisation d’un pareil matériau, fourni par la société Rhodia, n’est pas sans froisser les sensibilités des écologistes, le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement, et le ministère de la Culture, consulté lui pour la protection des abords du Palais des Papes, avaient donné leur accord.

Les services de Dominique Voynet ont toutefois demandé un rapport pour examen en commission supérieure des sites, perspectives et paysages. Adressée en décembre au préfet du Vaucluse, leur requête est restée sans réponse, indique le cabinet ministériel. Malgré tout, le permis de construire a été délivré par la ville. Après une première interruption des travaux, demandée par l’Office national des forêts, le chantier a repris avec l’aval du préfet, alors que le permis modificatif n’a jamais été transmis. Proche du premier, il devrait vraisemblablement être accepté lors d’un examen le 19 mai, mais l’Avenue de Ségur tient à préciser que cette autorisation n’est valide que “sous réserve de la possibilité de délivrer les permis de construire nécessaires”.

L’idée d’une confusion, et de maladresses administratives, est partagée par l’ensemble des partis. “Il convient pour le directeur de l’Architecture et du Patrimoine, mais aussi pour un ami de Gaetano Pesce de donner son soutien”, déclare François Barré, estimant qu’il faut sans doute “rattraper des éléments de droit dans lesquels il y a eu des dysfonctionnements”. Mais trois recours suspensifs et en référé auprès du tribunal administratif sont sur le point d’être déposés. Il s’agit de faire annuler un permis de construire, qui n’aurait pas dû être délivré, à moins d’”une modification du plan d’occupation des sols et donc une consultation de la population”, souligne René Pélisson. L’équipe technique de Gaetano Pesce n’est pas loin de rejoindre ce point de vue : “La vieille buvette d’une cinquantaine de mètres carrés, qui a été détruite, avait été réalisée sans permis de construire. L’installation de nos bâtiments aurait dû faire l’objet d’une simple autorisation de travaux, comme c’est d’usage dans les parcs, tout en sachant qu’ils auraient pu être démolis par la suite.” D’un coût total de 5 millions de francs, le Pavillon est toutefois l’une des seules réalisations pérennes de la Mission An 2000, qui a déjà dû annuler certains de ses projets pour la Cité des Papes. Faute d’accord avec les propriétaires des bains Pommer et de l’église de la Visitation, l’installation d’Hou Hsiao Hsien et l’intervention de Buren n’ont pu voir le jour. Philippe Starck, Viktor et Rolfe, et le collectif Dumb Type ont eux fait les frais d’impératifs budgétaires.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°107 du 9 juin 2000, avec le titre suivant : La « Beauté » sans silicone ?

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